En dépit du confinement, le jury du Femina a distingué, lundi 2 novembre, Serge Joncour pour Nature humaine(Flammarion). L’écrivain réagit pour Livres Hebdo à cette situation insolite et s’exprime sur la fermeture des librairies. Interview Par Pauline Gabinari, pour Livre Hebdo, Créé le 02.11.2020 à 19h13, Mis à jour le 02.11.2020 à 20h00
Vous avez reçu aujourd’hui le prix Femina, comment vous sentez-vous ?
Cela a une résonnance toute particulière compte tenu de l’actualité. C’est une joie très intimement ressentie. J’ai beaucoup de mal à mettre des mots sur ces émotions. Je me retrouve porté par ce jury de femmes qui a décidé, malgré le contexte et de façon très culottée, de prononcer le prix.
Comment faites-vous face à ce nouveau confinement ?
L’incertitude est omniprésente. On ne sait pas si les librairies resteront ouvertes ou fermées. J’ai l’impression que l’on a basculé du côté de l’absurde et que je me retrouve dans la situation de mon personnage à la fin du roman : seul au milieu d’un monde défait. Je me sens seul avec mon prix, sans savoir où je vais. C’est inédit.
Les librairies ont décidé de résister cette fois-ci, quel est votre rapport à elles et à leur position ?
J’ai un rapport particulier avec les librairies dans la mesure où je m’y rends beaucoup. Il ne faut pas oublier que le monde des livres est vivant. Cette année j’avais cinquante dates de prévues jusqu’en mars. Mais, les libraires n’ont plus le droit d’organiser des rencontres et des salons. Il y a toute une réorganisation à mettre en place. Il faut se remettre en ordre de bataille parce que la lecture, pour beaucoup, c’est aussi addictif que la cigarette. Le paradoxe c’est que nous sommes dans une situation où les gens qui aiment lire vont avoir le temps de lire et c’est là qu’on leur empêche d’acheter des livres.
Dans votre dernier roman, Nature humaine, vous abordez la question de la rupture entre l’homme et la nature. Des sujets qui résonnent là aussi dans l’actualité.
Si j’ai appelé le livre Nature humaine c’est qu’il n’y a pas d’un côté la nature et de l’autre les humains. Les humains sont une partie de la nature. Il est important de considérer que l’on participe au même écosystème que les bêtes. Nous nous sommes crus affranchis, nous nous sommes pensés au dessus de la nature mais d’une façon ou d’une autre, cela nous revient en boomerang.
Vous focalisez votre récit à la fin du XXe siècle.
Oui parce que c’est dans les années 70-80-90 que tout s’est accéléré. Les hypermarchés ont redéfini les façons de travailler des agriculteurs. Il y a eu l’arrivée du téléphone dans les milieux ruraux… Je me suis arrêté en 2000 en sachant que je ferais une deuxième partie jusqu’en 2020. D’ailleurs je voulais inventer une catastrophe écologique en 2020 et c’est une catastrophe sanitaire qui est arrivée.
Ce divorce entre l’homme et la nature est donc annonciateur d’une autre crise?
Oui. A hauteur d’homme, à l’échelle d’une vie, je vois des panoramas, des arbres, des sources, des faunes changer complètement et ceci depuis plusieurs années. Cet été j’ai observé des arbres qui ne faisaient presque plus d’ombre. Leurs feuilles avaient tellement souffert du manque d’eau qu’elles étaient étroites au point de laisser passer le soleil. Cela m’a fait très peur dans la mesure où j’ai eu l’image d’arbres qui ne pourraient plus faire de feuilles au printemps. Les arbres, ils sont là, ils attendent. Ils ne peuvent rien faire, ils attendent tout de nous. Et, bon dieu, des signaux de mal-être ils en donnent.
Source:
https://www.livreshebdo.fr/article/serge-joncour-je-me-sens-seul-avec-mon-prix
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