Le Pélerin: Vous avez été élue à l’Académie des beaux-arts en janvier 2020. Racontez-nous comment s’est passée votre installation, le 30 novembre dernier…

Catherine Meurisse: La journée était tellement intense que je n’ai pensé à rien. J’étais extrêmement émue quand j’ai vu la Coupole remplie de tous ces visages amis. Le frottement entre auteurs, éditeurs et proches que j’avais fait venir – des gens pour qui ce monde très codé était extrêmement nouveau – et mes confrères et consœurs en habit vert, cette compagnie si chaleureuse… le mélange m’a rendue très heureuse. Cela m’a fait plaisir de faire résonner les noms de Reiser, Cavanna, Cabu, Pétillon, Bretécher dans un lieu où d’habitude sont évoqués de grands écrivains, et ces beaux-arts qu’on tente de figer et qui ne le sont pas. Ce jour-là, ce n’était pas moi qu’on fêtait mais l’entrée de la bande dessinée à l’Académie.

En entrant avec vous sous la Coupole, la BD ne risque-t-elle pas de devenir un art « académique » ?

CM: L’Académie porte son poids. On pense à l' »académisme » qui renvoie à une manière figée, guindée. Mais, quand on y entre, on comprend qu’elle fonctionne presque comme une grosse boîte à outils, pour reprendre la comparaison d’un confrère graveur, Pierre Collin. Ce n’est pas du tout un club fermé. À l’intérieur, tout bouge, tout est vivant. Cette compagnie est comme une vigie des arts: elle a pour mission à la fois de préserver un patrimoine – il est important qu’il ne s’effondre pas, on a besoin des classiques pour tenir debout – et de favoriser la jeune création par des résidences, des aides…

Catherine Meurisse : « La BD, un pont entre les arts »

Les grands espaces, de Catherine Meurisse, Éd. Dargaud,  92 pages. ; 20,50€.

Première femme à intégrer l’équipe du journal satirique Charlie Hebdo, vous voilà, à 42 ans, la benjamine des académiciens. Cela vous impressionne-t-il ?

CM: La première fois que j’ai croisé l’équipe de Charlie Hebdo, j’avais 21 ans – 25 quand j’ai été embauchée pour de bon. J’étais terrifiée. Quand bien même ils se sont montrés pleins d’humour et de bienveillance, ces dessinateurs géniaux dégageaient une force très impressionnante. Sans doute ai-je moins peur aujourd’hui parce que j’ai vieilli. Et parce que j’ai rencontré des gens intelligents pour lesquels la nouveauté était importante, une fille dans la rédaction du journal, la plus jeune académicienne à l’Institut de France. Une fois entrée à Charlie Hebdo comme à l’Académie, on travaille. C’est tout ce qui compte.

Vous êtes passée du dessin de presse à la bande dessinée. En quoi se distinguent-ils ?

CM: Il s’agit de deux métiers très différents. Le dessinateur de presse a le nez dans le guidon de l’actualité. La bande dessinée m’évoque plutôt la randonnée, qui donne le temps de la rêverie. Il m’est arrivé de trouver des idées de bandes dessinées en marchant, de dénouer ainsi des nœuds scénaristiques pour Les grands espaces ou La jeune fille et la mer. Des titres, des phrases arrivent, se forment. C’est assez magique. À condition d’être seule dans la nature.

Catherine Meurisse : « La BD, un pont entre les arts »
© Corentin Fohlen pour Le Pèlerin

L’épée qu’elle a reçu comporte les quatre plumes des dessinateurs qu’elle admire.

Sur votre épée d’académicienne figurent un renard, une agate, une date et quatre plumes. Que racontent ces symboles ?

CM: Les quatre plumes sont celles de Blutch, Luz, Claire Bretécher et Quentin Blake, des dessinateurs que j’admire. Quant au renard, il m’accompagne depuis l’enfance. Je pouvais l’observer, gamine, à la campagne. Il est très agréable à dessiner, long, avec toutes ses couleurs magnifiques. Il s’est toujours retrouvé dans mes pattes par hasard. Depuis le Roman de Renart que j’écoutais enfant sur un livre-disque raconté par le comédien Philippe Noiret – on se souvient toute la vie d’une histoire narrée par cette voix extraordinaire! – aux Fables de La Fontaine dont j’ai fait une illustration récente. Il s’est invité dans ma première bande dessinée Mes hommes de lettres, comme un troubadour racontant l’histoire littéraire.

Et voilà le renard sur votre épée…

CM: Ce renard-là vient de la tapisserie de La dame à la Licorne, qui se trouve au musée de Cluny, à Paris. Il fait le lien entre la bande dessinée, le dessin et les musées. Ces derniers sont très présents dans mes albums comme lieux de découverte, de rencontre, de surprise, d’émotion et de connaissance. Ce petit renard, assis sur cette grande tapisserie, a l’air de ne pas y toucher. Ça me va bien.

Et l’agate ?

CM:Les minéraux, les pierres précieuses, les fossiles me fascinent. La nature a dessiné avant les hommes et nous offre sa puissance créatrice qui n’en finit pas de nous inspirer. La maison que mes parents ont rebâtie, dans les Deux-Sèvres, est pleine de fossiles. Au-dessus de la porte, une date est gravée, 1784, elle figure sur mon épée.

Catherine Meurisse : « La BD, un pont entre les arts »

La légèreté, de Catherine Meurisse, Éd. Dargaud, 136 p. ; 20,50€.

Quand vous aviez 7 ans, vos parents ont choisi de vous faire grandir dans la campagne niortaise. Pourquoi ?

CM: Mes parents sont nés à la campagne, mon père dans la Meuse et ma mère dans les Deux-Sèvres. Ils ont fait des études et ont vécu à la ville pour trouver du travail. Mais, très vite, ils ont voulu revenir près de la nature qu’ils avaient connue.

À quel moment avez-vous compris que c’était une chance ?

CM: En dessinant Les grands espaces. Cet album où je raconte mon enfance est rattaché au précédent, La légèreté, sans que le lecteur ait forcément à le savoir. Après le grand choc de l’attentat contre Charlie Hebdo (Catherine Meurisse doit à son retard ce matin-là d’être toujours en vie, NDLR), j’avais besoin d’un retour aux sources. La Légèreté est un livre qui s’est imposé à moi. Écrit à l’instinct, il racontait une quête d’identité après un bouleversement énorme. Je ne savais plus qui j’étais. Pour approfondir cette quête ou la compléter, il fallait retourner à l’enfance, me demander d’où je venais. Tout cela avait beaucoup de sens pour moi, sans que je l’aie anticipé.

Avant ce recours à l’enfance, vous êtes partie en quête de beauté pour recommencer à vivre. Aujourd’hui, quel rapport entretenez-vous avec elle ?

CM: La beauté reste peut-être trop reliée à ce trauma. Le terme lui-même m’impressionne. Maintenant que je vais mieux, je m’interroge moins sur la beauté, je la recherche, inconsciemment, tous les jours.

Catherine Meurisse : « La BD, un pont entre les arts »
© Corentin Fohlen pour Le Pèlerin

Elle a commencé comme dessinatrice de presse chez Charlie Hebdo en 2005.

Vous l’avez rencontrée au Japon depuis, en vous immergeant dans ses paysages ruraux…

CM: Comment sauver les paysages menacés de cataclysme, un typhon par exemple? C’est la question que se pose Nami dans mon album La jeune fille et la mer réalisé après mes voyages. Parmi les recours possibles, il y a l’art… et l’herbier. Au Japon, j’en ai réalisé un. J’avais lu une interview du botaniste Marc Jeanson, qui a dirigé l’Herbier national du Muséum national d’histoire naturelle. Selon lui, ces collections ont cela de fascinant qu’elles peuvent contenir encore de l’ADN des plantes, et qu’il est possible de recréer du vivant à partir de ces végétaux a priori endormis. Je garde cette idée en tête. La nature nous rappelle que nous sommes de passage sur cette planète, mais, paradoxalement, elle nous prolonge.

SUITE de l’interview sur l’hebdomadaire LE PELERIN:

Délia Ballandpar Délia Balland

Festival d’Angoulême (lepelerin.com)

SA BIO

8 février 1980 : Naissance à Niort (Deux-Sèvres).

2002-2005 : Diplômée de l’école Estienne, puis de l’École des arts décoratifs.

2005 : Embauchée à Charlie Hebdo.

2008 : Première bande dessinée : Mes hommes de lettres (Éd.Sarbacane).

7 janvier 2015 : Échappe à l’attentat contre Charlie Hebdo.

2016 : Parution de La légèreté (Éd. Dargaud), récit de son retour à la vie.

2018 : Les grands espaces, (Éd. Dargaud), évocation de son enfance.

15 janvier 2020 : Élue à l’Académie des beaux-arts.

2023 : Publication d’Humaine, trop humaine, recueil de ses chroniques dans Philosophie magazine.

SOURCE: Cet article est paru dans le magazine Le Pelerin 

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