Deux héros d’aujourd’hui sortent du virtuel jeux vidéo pour entrer dans l’histoire. D’un côté , Tom Cruise dans le rôle de Top gun: Maverick arrive ce mercredi sur les grands écrans français et Hors compétition au 75ème Festival de Cannes. De l’autre, le président Ukrainien, Volodymyr Zelensky, en chef de guerre dans la vraie vie. Interview
Régis Genté et Stéphane Siohan, tous les deux journalistes indépendants spécialistes de l’ex-URSS et du monde soviétique, viennent de publier la biographie** du président ukrainien. Leur ouvrage décrypte l’histoire de la complexe société ukrainienne, qui vit une guerre aujourd’hui contre la Russie, et dont l’issue est encore incertaine après trois mois de guerre.
Quelle est la phrase de Zelensky qui vous a le plus marqués ?
R. G. : C’est lorsqu’il a répondu aux Américains qui proposaient de l’évacuer d’Ukraine pour le placer en sécurité: « J’ai besoin de munitions, pas d’un taxi ». Il définit là ses rapports avec les Occidentaux. On peut être l’Allemagne, les États-Unis ou un pays apportant un soutien majeur, Zelensky peut dire les vérités de manière frontale. C’est du culot pertinent, sans être dans l’insulte. Zelensky, roi de l’image ?
« Ce sont les Ukrainiens qui ont forcé Zelensky à devenir un héros »
S. S. : Moi, je l’appelle le « président écran ». Ceux de la télévision, en tant qu’acteur et producteur. Sa société de production est la plus grosse société de contenus audiovisuels de l’ex-URSS, hors Russie. Il est à la croisée de tous les médias contemporains : la télévision, les réseaux sociaux, les séries dont il a très bien compris l’importance. En ça, il a une modernité folle, car il maîtrise mieux les codes de l’image que n’importe quel autre chef européen.
Est-il le symbole d’un tournant de l’Ukraine ?
S. S. : Zelensky porte en lui la dramaturgie et la problématique de ce conflit entre l’Ukraine et la Russie, qui n’est pas une opposition entre russophones et ukrainophones, gens de l’Est et gens de l’Ouest. Il y a, en Ukraine, un vrai clivage générationnel entre ceux qui ont connu l’empire soviétique et ceux qui ne l’ont pas connu. Zelensky avait 13 ans lors de la chute de l’URSS. Il fait partie de cette génération pour qui l’URSS ne veut rien dire et qui ne veut pas voir Poutine émerger. Zelensky, c’est cette nouvelle middle class urbaine : des jeunes parents pleins d’énergie, de positivisme, beaucoup moins cyniques que ceux qui ont connu la fin de l’URSS, et qui ont un vrai projet de construction pour leur pays. Ils ont compris que, si la Russie envahissait l’Ukraine, ils allaient tout perdre.
Quelle est cette recette qui a fait de Zelensky un héros ?
-R. G. : Il a une légitimité par les urnes, il incarne le projet d’un peuple, fait de la politique par le bas, suit l’avis de la population. Le courage qu’il a montré, c’est le courage que montrent des mil- lions d’Ukrainiens qui se battent.
S. S. : Il est un héros parce que l’Ukraine est constituée d’une multitude de héros. Ce sont les Ukrainiens qui l’ont forcé à devenir un héros. C’est un pays dont la population accepte de sacrifier son confort personnel pour une idée, dont les citoyens sont prêts à donner leur vie. Volodymyr Zelensky le savait. Il n’avait pas d’autre choix que d’être à la hauteur.
« Il peut dire les vérités de manière frontale. C’est du culot pertinent,
sans être dans l’insulte. »
-En décembre 2021, son nom était encore méconnu du grand public. En quelques mois, Volodymyr Zelensky est devenu une figure de la résistance ukrainienne face à l’envahisseur russe. Un héros pour ses concitoyens, mais aussi aux yeux d’une grande partie des Européens. Régis Genté et Stéphane Siohan, fins connaisseurs du président ukrainien, de son pays et du monde soviétique, ont entrepris d’écrire la biographie Volodymyr Zelensky, dans la tête d’un héros (éd. Robert Laffont**) en pleine guerre entre Kiev et Moscou.
Comment s’est passée la rédaction de cette biographie ?
-Régis Genté : Notre éditeur nous a donné un mois pour l’écrire. Moi, je connais bien l’Ukraine, je vis en Géorgie. Stéphane, à Kiev. On a mis en forme trente ans d’expérience de terrain. Stéphane Siohan : Je fais partie des premiers journalistes occidentaux à avoir rencontré Zelensky lorsqu’il était candidat à la présidentielle. En trois ans, j’avais cumulé des interviews, des articles et des choses non publiées.
Y a-t-il eu des contraintes à écrire ce livre durant la guerre ?
-R. G. : Il ne fallait pas tomber dans l’émotion, mais rédiger un livre qui puisse durer dans le temps. Montrer le héros positif et remarquable dans son entrée en guerre [depuis l’invasion russe, le 24 février], tout en racontant aussi ses défauts.S.S.:C’est dur de se poser et de se dire « C’est le bon moment de faire son portrait », alors qu’on ne connaît pas la fin de l’histoire, et combien de temps elle va durer.
Si vous deviez évoquer le coup de génie de Zelensky…
-S. S. : Je pense que, c’est lorsqu’après deux jours de guerre, il est descendu dans la rue avec ses associés, façon Beatles, pour se filmer et dire : « Nous sommes tous ici ». C’est une façon de dire au président russe, Vladimir Poutine, « Va te faire foutre », mais c’est aussi un coup de maître en com politique. C’est le message qui va sonner la révolte.
Source:
Propos recueillis par Marie de Fournas pour 20 minutes
** La biographie:
Volodymyr Zelensky, dans la tête d’un héros (éd. Robert Laffont 2022)
** Le biopic de Tom Cruise: Tom Cruise, son histoire vraie
par Andrew Morton (Edition Michel Lafon, 2018)
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