Revue de presse, génération Y: Samuel Etienne, nouvel ambassadeur de la presse sur Twitch : On peut créer un pont générationnel.

Par Pour Le Monde, publié le 23 décembre 2020 à 16h59 

Beaucoup de téléspectateurs connaissent Samuel Etienne pour son visage aimable et ses yeux bleus pétillants, qu’on a vus ces dernières années à l’antenne de France 3. Ancien présentateur du « 12/13 », le journaliste est devenu en 2016 le successeur de Julien Lepers pour animer le jeu « Questions pour un champion ». Il cumule également la présentation de la matinale de la chaîne et radio publique Franceinfo, entre 6 h 30 et 8 h 30.

Ces derniers mois, une autre France a découvert Samuel Etienne : celle des enfants ou petits-enfants des spectateurs de France 3. Le présentateur a en effet percé sur Twitch, dans le sillage du vidéaste de 24 ans Etoiles. Ce dernier avait vu son audience exploser sur la plate-forme de vidéo en direct pendant le premier confinement grâce à des sessions détournées de « Questions pour un champion ».

Après avoir participé à plusieurs émissions d’Etoiles, ainsi qu’au Z Event 2020, Samuel Etienne a finalement sauté le pas. A 49 ans, il a lancé sa chaîne officielle sur Twitch le 18 décembre, et a rassemblé près de 70 000 abonnés en quatre jours. Un compte à son nom, sans les couleurs de France Télévisions, mais qu’il va gérer pour prolonger son métier de journaliste : en diffusant des revues de presse matinale à sa « communauté », quand il le pourra.

Le succès est là. Lundi 21 et mardi 22 décembre, les vidéos en direct de Samuel Etienne épluchant les titres des journaux, lisant et commentant des extraits d’articles en fonction des retours de son audience, se sont placées parmi les streams sur Twitch les plus regardées de France, avec des pics à plus de 10 000 spectateurs simultanés. Le Monde a interviewé l’animateur le 22 décembre, après sa deuxième émission.

Comment expliquez-vous votre succès sur Twitch, une plate-forme plutôt connue pour ses retransmissions de jeux vidéo ?

J’en suis le premier surpris. Je ne suis pas « gameur » du tout, je n’ai joué aux jeux vidéo qu’à la fin des années 1980. C’était la préhistoire, on était très loin de ce qu’il se passe aujourd’hui, notamment son aspect communautaire : on joue ensemble, en réseau, et on se regarde jouer sur Twitch. Moi, je ne suis pas de cet univers.

Au début du premier confinement, j’étais déjà accro à Twitter, un super outil pour s’informer. Un matin, je me réveille et je vois un tweet d’un garçon, Etoiles. Et je vois plein de notifications, des réactions de gens postées en pleine nuit. Je me demande : qui me parle, qui sont ces gens ?

Le tweet en question était : « Salut Samuel, est-ce que vous connaissez Twitch ? » Ma réponse était non. J’avais déjà lu des articles sur le phénomène, mais ce n’était pas du tout dans mes centres d’intérêt. J’échange avec ce garçon en message privé, il m’explique ce qu’il fait sur sa chaîne Twitch : il regarde « Questions pour un champion », et il en fait autre chose. Je regarde, et je me dis : « Wow, c’est génial ! » Il a pris une émission, et il en a fait une autre, il y a apporté son humour, sa curiosité.

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Etoiles me demande si je peux venir jouer avec lui en direct. On le fait, et là je suis bluffé par plein de choses. D’abord, je m’amuse comme un petit fou, je ne vois pas le temps passer. Et je vois dans le tchat d’Etoiles de très belles choses. De la curiosité, des gens pleins d’empathie, qui s’amusent mais qui sont aussi curieux, qui s’intéressent quand un mec fait une recherche Google sur un événement historique ou un peintre qu’il ne connaît pas.

On fait une émission, deux, puis une par mois. Et finalement, durant l’été, je me suis dit : « Et pourquoi pas toi ? » J’ai une passion infinie pour ce que je fais, à la radio, et à la télé, qui restent des médias très puissants. Mais il manque aussi un truc : le retour en temps réel de ceux qui vous regardent, une interaction qu’on n’a pas dans les médias traditionnels.

A qui pensez-vous vous adresser sur votre chaîne Twitch ?

J’ai conscience que je m’adresse à un public particulier. J’y suis allé, après plusieurs mois de réflexion, car j’ai senti qu’on était sur un truc important pour créer un pont générationnel. J’ai le sentiment que ce sont plutôt des jeunes, qu’ils ont entre 15 et 35 ou 40 ans. Ils ont leurs propres codes, un vocabulaire précis, avec du lexique technologique à base de « cartes graphiques », mais aussi tout un jargon, des « FC Humble », des « Teams Bidules Trucs », que j’ai compris au fil du temps avec l’aide d’interprètes comme Etoiles.

Progressivement, je me suis mis à emprunter et utiliser ces expressions, sur mon compte Twitter d’abord – en faisant attention à ne pas dire des choses à contre-emploi et à passer pour un gros « boomer ». Ça a eu du succès. Ça les a fait marrer qu’un vieux comme moi, de presque 50 ans, comprenne leurs échanges et soit capable de parler avec eux à la fois sur le ton de la blague, mais aussi avec respect.

Le streameur Etoiles en train d’aider techniquement Samuel Etienne, le 21 décembre, pour sa première revue de presse.

J’ai rapidement reçu des témoignages, des jeunes qui m’ont dit : « Je vous ai découvert grâce à Etoiles sur Twitch. Mon grand-père regardeQuestions pour un champion”. Maintenant, je regarde avec lui, et lui, il regarde “La Nuit de la culture” avec moi. » Ça veut dire que le gamin a ramené son grand-père devant Twitch et qu’il y a découvert un univers très différent, très loin de l’image d’une jeunesse décérébrée et abrutie par les jeux vidéo vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Et il y a aussi des adolescents, ou des jeunes adultes, qui se sont mis à regarder « Questions pour un champion », car leur regard sur le jeu et l’animateur ont changé grâce à tout ça. C’est formidable. C’est ce qui m’a décidé.

Pourquoi lancer une revue de presse, basée sur des journaux au format PDF que vous commentez en direct ?

J’ai pratiqué la revue de presse à RFI, France Inter, Europe 1, en ce moment sur Franceinfo… Pour moi, c’est le plaisir par excellence : je lis les journaux et j’apprends plein de choses. C’est un exercice vieux comme la nuit de temps, et le « journal » est un vieux support, que les jeunes Français ne lisent pas forcément. A ma grande surprise, il y a eu plusieurs milliers de personnes, ce qui était, m’a-t-on expliqué, une petite performance pour un lundi matin de vacances.

Des « unes » de journaux sur iPad, un micro et un mug de café, parmi les accessoires indispensables du streameur néophyte.

Il y a eu ce regard un peu méprisant du monde adulte : on me cite souvent des personnalités qui ont eu beaucoup de morgue à l’encontre des « gameurs », pour qui le fait de jouer ensemble est le comble de la bêtise. Les concernés ont beaucoup souffert de ces attaques, mais ils restent curieux du monde dans lequel ils sont. Ils ont raison.

Et je constate que ça marche : vous pouvez leur parler de choses produites par les anciennes générations – « Questions pour un champion », la presse écrite… – et les passionner avec ça, si vous êtes vous aussi passionné. J’ai une conviction, et j’ai envie de la partager : on a une chance infinie d’avoir, en France, une presse écrite de qualité aussi riche, aussi diverse.

La presse nationale, la presse régionale, la presse magazine… Ce sont des supports géniaux avec une richesse infinie d’informations, des journalistes investis, honnêtes, et qui travaillent avec un contrôle éditorial avant publication, de la relecture, de la hiérarchie. J’assume ce discours de vieux : si vous voulez comprendre la manière dont le monde fonctionne, allez lire ces journaux. On a besoin de cette presse pour que notre démocratie fonctionne, qu’un citoyen puisse aller voter en son âme et conscience en étant informé.

Comment préparez-vous vos revues de presse pour votre chaîne Twitch ?

Je lis le plus possible, je surligne sur mon iPad ce que je trouve le mieux. Mais je n’écris rien. C’est une technique que j’ai développée à Franceinfo et qui force à avoir un ton très naturel. C’est parfait pour Twitch, qui permet de dérouler les histoires les plus intéressantes, mais aussi d’improviser, de répondre aux commentaires. J’ai juste un petit menu des « unes » et articles du jour, j’en parle, je regarde les réactions en direct et je me laisse porter. Quel kif !

Ce n’est pas la même énergie que dans une matinale radio ?

Il y a dans ces vidéos une liberté et une fraîcheur fascinantes. Je ne suis pas là pour me faire des sous – j’ai d’ailleurs coupé tout système de dons ou d’abonnement sur ma chaîne –, et je ne suis pas non plus en mission pour un éventuel employeur qui voudrait séduire les jeunes. Je suis juste là parce que ça m’amuse. Les spectateurs se rendent compte que je suis en roue libre, avec une forme d’innocence, en étant un peu fou, en rigolant…

Sur Twitch, il n’y a pas de cadre. [Le 22 décembre], j’ai parlé pendant une heure et demie de sujets comme les vaccins, les risques du Covid-19 au réveillon pour les personnes âgées… Mais tout en parlant du gagnant de l’EuroMillions, ou en montrant un magazine sur les chats. C’est ce mélange-là qui, je pense, crée de l’attention chez les plus jeunes.

Samuel Etienne imitant le ronronnement d’un chat en pleine revue de presse sur Twitch, le 22 décembre.

Twitch a connu des débordements et a récemment durci sa modération contre les discours haineux et le harcèlement. Y a-t-il des sujets que vous ne souhaitez pas aborder, par crainte de dérapages dans les commentaires ?

Pour proposer un contenu qui intéresse sur Twitch, il faut qu’il soit adapté au ton et à ses possibilités. Si vous ouvrez un canal pour balancer une revue de presse existant déjà à la télévision ou à la radio, ça devient juste un tuyau, qui nie tout ce qui fait le sel de la plate-forme. Si vous niez cette interactivité, ça n’a aucun intérêt.

Depuis lundi, je parle beaucoup des vaccins contre le Covid-19, qui font la « une » des journaux. On présente la France comme un des pays les plus réticents sur le sujet : quand j’en parle, je regarde le tchat et je me dis qu’il y a un risque de voir des messages très sceptiques, très critiques, voire très agressifs. Et non. Je ne vois aucun cri d’orfraie, aucune agression m’accusant de manipulations.

Je me suis rendu compte, ces derniers mois, que Twitch fonctionnait par communautés. Etoiles m’a expliqué qu’une communauté ressemblait, finalement, à celui qui l’anime. Il y en a qui sont quasiment sans problème. La mienne est très proche de celle d’Etoiles : elle vient pour rigoler, s’informer et passer un bon moment.

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https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/12/23/samuel-etienne-nouvel-ambassadeur-de-la-presse-sur-twitch-on-peut-creer-un-pont-generationnel_6064353_4408996.html

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