Parmi les 1000 prix littéraire en France dont 10 qui font vendre, Arnaud Viviant révèle dans son livre « Station Goncourt » comment fonctionne cette affaire d’Etat ?

120 ans de Prix littéraire : Parmi les 1000 prix littéraire en France dont 10 qui font vendre, Arnaud Viviant révèle dans son livre « Station Goncourt » comment fonctionne cette affaire d’Etat et pourquoi ça castagne dans les jurys.

La France, la République des livres. Le petit pays qui compte bien plus de librairies qu’on en trouve sur tout le territoire des États-Unis. Il s’en niche jusque dans nos villages. Mais aussi dix fois plus de prix littéraires que de jours de l’année. Arnaud Viviant est critique littéraire et membre de ces prestigieux jurys qui couronnent les écrivains et font vendre des livres. En France, c’est plus qu’une tradition, c’est quasiment une affaire d’État.

Dans son livre, Station Goncourt, Arnaud Viviant raconte l’histoire des prix. Il prend les prix littéraires comme une sorte de forêt. Il y a des arbres majestueux, centenaires, comme le Goncourt et le Femina, et d’autres plus petits. « Quand on étudie cette histoire des prix qui a 120 ans aujourd’hui puisque le Prix Goncourt est né en 1903, on lit des histoires, on pense toujours magouille. De la magouille, il y en a eu effectivement, et ça a été dénoncé presque tout au long du XXᵉ siècle. Les journalistes ont souvent dit qu’il fallait supprimer les prix, car il y aurait trop de commerce et pas assez de littérature. » Mais pour Arnaud Viviant, derrière ces prix se cachent de vraies visions idéologiques et littéraires, des enjeux éloignés de la chaîne du livre où l’écrivain est celui qui gagne le moins.

Un membre de La Fabrique arrêté
Arnaud Viviant a publié plusieurs ouvrages – dont son dernier « Station Goncourt » – chez la maison d’édition La Fabrique**, qui est une petite maison d’édition indépendante fondée il y a 25 ans par Eric Hazan, qui publie des auteurs comme Frédéric Lordon, Alain Badiou, ou encore le comité invisible. Un des membres de la maison d’édition se rendait à la Foire du livre de Londres, qui est la plus grosse avec celle de Francfort, pour négocier les droits étrangers des livres quand il a été arrêté par la police anglaise, pour ce qui ressemble, selon notre invité, à un délit de pensée.

Arnaud Viviant raconte : « Il a été arrêté, interrogé par la police, puis libéré au bout de 24 heures, mais il est toujours inculpé. Il est inculpé par rapport aux lois terroristes. En fait, on l’accuse de terrorisme intellectuel, selon l’expression qu’a utilisée Gérald Darmanin. C’est extrêmement grave, « On est en train de criminaliser la pensée ». Donc il n’a pas voulu donner les codes de son ordinateur. Il n’a pas voulu donner les codes de son téléphone. Il a dû répondre à des questions qui sont extrêmement étranges, venant donc de la police anglaise : est-ce qu’il soutenait Emmanuel Macron ? Est-ce qu’il avait participé récemment à des manifestations ? Et par ailleurs, quelles sont les prochaines publications de La Fabrique ? » Cette personne, dont le nom a été protégé, doit retourner à Londres. Son ordinateur et son téléphone ont été confisqués. Pour l’invité, cela est extrêmement grave, car on est en train de criminaliser la pensée.

Les prix littéraires, une passion française
D’ici cet été, on aura le
Prix Flaubert,
Prix Étonnants Voyageurs,
Prix des libraires,
Prix Joseph Kessel,
Prix Jean d’Ormesson,
Prix Roger Nimier,
Prix du Livre Inter…

La France est un pays qui compte plusieurs milliers de prix littéraires, y compris les prix canulars qui viennent se greffer comme une espèce de parodie des prix littéraires pour essayer d’entamer un petit peu leur sérieux. Le prix Renaudot, au départ, se veut un prix canular parce que le prix Goncourt tardait à être remis. Les journalistes qui étaient présents décident eux-mêmes de voter pour un livre.

Les prix littéraires donnent lieu à des querelles

Derrière de grands clivages idéologiques, il y a derrière des vrais clivages littéraires : « Le fond du sujet, c’est que nous sommes un pays littéraire. En-tout-cas, nous voulons être un pays littéraire et nous le sommes. On peut le voir à la manière dont les présidents de la République se font souvent photographier pour la photo officielle avec un livre, c’est Mitterrand avec Les Essais de Montaigne, c’est Emmanuel Macron avec trois Pléiade, De Gaulle, Gide et Stendhal. Ce qui d’ailleurs, en soi, était une sorte de portrait chinois d’Emmanuel Macron. La littérature, c’est important. Barthes disait qu’en France, la littérature, c’est l’école. Nous apprenons le français à travers les écrivains, nous apprenons non seulement l’idée de la France, mais l’idée de la République à travers les écrivains. » Il y a une politique littéraire et il y a une littérature politique en France.

Les prix sont le financement parallèle de la littéraire

En France, il y a dix prix littéraires qui font vendre des livres. Les autres prix donnent de l’argent, entre 2 000 et 6 000 euros, même si certains donnent plus. C’est en quelque sorte un financement parallèle de la littérature. Il faut savoir, comme le rappelle Arnaud Viviant, que les auteurs touchent relativement peu d’argent sur les ventes de livres. Dans cette chaîne du livre, l’écrivain est celui qui gagne le moins. Le libraire est celui qui gagne le plus après le distributeur, puis après l’éditeur, puis après l’imprimeur.

Les critiques littéraires sont-ils détestés ?

On pense souvent que les critiques littéraires sont méchants. Pour Arnaud Viviant, dans un sens, ça fait partie de sa fonction. Il raconte qu’Edgar Poe était critique littéraire et qu’il était caricaturé dans les journaux américains de l’époque en Indien avec un tomahawk parce qu’il poursuivait les écrivains américains. Ce qu’on reproche aux critiques aussi, c’est d’avoir le temps de lire tous ces livres, d’être finalement improductifs, ne faisant que lire et donner leur avis. Pour Arnaud Viviant, le critique doit faire vendre son journal, et non les livres.

Journalistes versus écrivains

En France, il y a une distinction très franche entre les journalistes et les écrivains, ce qui n’est pas forcément le cas aux États-Unis. On pense par exemple à Hemingway, Tom Wolfe, ou encore à Norman Mailer. Il ne considère pas que le journalisme soit indigne de la littérature et cette question-là, elle est extrêmement importante parce qu’on a des prix de journalistes – le Renaudot, l’Interallié, etc. – et des prix d’écrivains – le prix de l’Académie française, le prix Goncourt ou encore le prix Femina. Il y a une hiérarchie imaginaire entre eux.
Le critique pense à un grand écrivain comme Emmanuel Carrère, qui essaie de diminuer justement cette différence entre le journalisme et la littérature, car il produit une sorte de journalisme très souvent dans ses livres. Selon lui , il essaie en quelque sorte d’être américain dans sa conception de la littérature.

🎧 Pour en savoir plus, écoutez le podcast sur France Inter :
À lire aussi : Prix littéraires : la France championne des prix les plus loufoques

** Le livre d’Arnaud Viviant : « Station Goncourt » chez la maison d’édition La Fabrique
Ecouter le podcast intégral :
Arnaud Viviant : la critique et les prix littéraires, à quoi ça sert ? (radiofrance.fr)

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