Le 6 juin nous célébrons le 80ème anniversaire des forces alliés en Normandie (le débarquement D-Day) et trois jours après, le 9 juin, ce sont les 427 millions d’électeurs(trices) qui sont appelés aux urnes. Quels sont les enjeux, à quoi ressemble la carte politique Européenne, spécialement en France ? Jean-Antoine DUPRAT, géopolitologue fait l’état des lieux et pointe son analyse en direction de Moscow où les ingérences russes pour influencer les eurodéputés comme les élections dans les 27 Etats membres constituent une menace grave. Suite des analyses de J-A Duprat déjà publiée le 19 mars pour ApprofonLire et rappels de ses livres**.
Des élections européennes sous l’œil de Moscou
Entre le 6 et le 9 juin prochain (le 8 en France métropolitaine) auront lieu les élections européennes ; lors de ce scrutin de liste, à un tour, 427 millions d’électrices et d’électeurs des 27 pays membres de l’Union européenne seront appelés à choisir 720 eurodéputés, pour un mandat de cinq ans. La répartition des sièges se fera à la proportionnelle et à la plus forte moyenne du nombre de voix obtenu par chaque liste ayant atteint au moins 5% des suffrages exprimés. Les sondages donnent l’extrême droite en tête dans neuf États, dont la France, et en deuxième ou troisième position dans neuf autres pays. Dans l’assemblée sortante les formations populistes et nationalistes regroupent 127 élus : 68 (issus de 18 états) sont membres du groupe Conservateurs et Réformistes européens (CRE) et 59 appartiennent au groupe Identité et Démocratie (ID). Créé en 2009, le CRE constitue la cinquième formation la plus importante du Parlement européen ; il regroupe des élus polonais de Droit et Justice, italien des Frères d’Italie (FDI), espagnols de la formation Vox, belges de l’Alliance néoflamande (N-VA), des Démocrates de Suède et des tchèques.
Le 6 février 2024, Nicolas Bay, membre du mouvement français Reconquête, dont la tête de liste aux européennes est Marion Maréchal, a rejoint le CRE. Libéral sur le plan économique, le CRE propose des mesures fortes pour contrôler l’immigration. Le groupe ID, pour sa part, met en avant le respect de la souveraineté de chaque état et aussi la lutte contre l’immigration de masse ; il réunit notamment des élus de Alternativ für Deutschland (AfD), de la Ligue italienne et du Rassemblement national (RN) dont la tête liste est Jordan Bardella, bras droit de Marine Le Pen. D’après l’institut Conseil européen pour les relations internationales (CERI) le groupe ID pourrait dépasser le CRE en nombre de sièges, à condition toutefois que les élus du Fides, formation hongroise du président Viktor Orban, membre des non-inscrits après son départ en 2021 du Parti populaire européen (PPE) ne rejoigne le CRE. Encore selon le CERI, les partis d’extrême droite pourraient obtenir environ 180 sièges, certes loin de la majorité absolue de 361, sauf à rentrer dans une coalition improbable avec le PPE.
Les préoccupations des Français ne reflètent pas l’inquiétude que suscite en haut lieu ce conflit à hauts risques déclenché par la Russie
En France, malgré la nomination d’un jeune Premier ministre, Gabriel Attal – un Macron bis ironisent certains ! – dont la côte de popularité dépasse celle du président, la liste « majorité présidentielle » menée par Valérie Hayer, avec environs 18% des intentions de vote, paraît largement devancée (entre 12 et 14 points) par celle du RN estimée au-dessus des 30%. Malgré les efforts déployés par l’Elysée, qui agite le drapeau de l’union nationale face au risque d’extension de la guerre en Ukraine, les préoccupations des Françaises et des Français ne reflètent pas l’inquiétude que suscite en haut lieu ce conflit à hauts risques déclenché par la Russie. Dans le quintet de tête des attentes se trouvent : l’inflation (44 % des sondés) ; le pouvoir d’achat (43 %) ; la sécurité (34 %) – et les violences scolaires, sur fond de menaces terroristes, peuvent accroître l’inquiétude ; la protection sociale (santé, retraites… 31 %) ; l’immigration (29 %) nettement avant l’environnement (24 %) et loin devant la lutte contre le terrorisme (15 %) ; quant à la guerre en Ukraine (13%) elle est reléguée au même niveau que l’emploi ! Sans oublier : les inquiétudes autour d’un endettement qui n’a jamais été aussi élevé (plus de 3100 milliards d’euros, record européen ; près de 110% du PIB français) ; le énième dérapage du déficit budgétaire – cela fait 50 ans que les finances de l’État sont dans le rouge – à nouveau au-delà des 5% du PIB ; les risques de hausses d’impôts sur les super profits, sans doute, mais aussi, après les européennes, pourquoi pas sur les rentes des retraités, épargnants, propriétaires d’un logement… c’est-à-dire un peu tout le monde !?
Rien n’est impossible, entend-on, dans une France où le taux de prélèvements obligatoires, supérieur 45% du PIB, est le plus élevé des 38 pays membres de l’OCDE, sans parvenir à réduire une dépense publique également record (57,3% du PIB en 2023) avec un budget de la défense revu à la hausse. Comme le possible retour de Donald Trump à la tête des États-Unis, cette poussée de l’extrême droite européenne est observée avec intérêt par un Vladimir Poutine, maître dans l’art de diviser pour mieux régner. Accusé d’ingérence dans la politique intérieure des démocraties, il sait bénéficier, en interne, comme au plan international, de l’appui « d’idiots utiles », d’anciens compagnons de route de l’URSS, complaisant vis-à-vis d’une Russie qui, après l’Ukraine, pourrait bien s’attaquer à la Moldavie, aux États baltes, voire à la Finlande ou encore à la Suède récemment intégrées à l’OTAN. Dans ce contexte, sur fond de crises politiques et géopolitiques, le résultat des prochaines élections européennes pourrait apparaître, sous l’œil intéressé de Moscou, dans beaucoup de pays, dont la France, comme un vote sanction et déstabilisateur des majorités en place.
Jean-Antoine DUPRAT pour ApprofonLire.fr
** Livres récents de Jean-Antoine Duprat:
Fake News 2.1
Dictionnaire des idées reçues,
Editeur L’Esprit du Temps