La Grande Librairie: Sylvain Tesson présente son livre, Avec les fées, regards et émotions sur le « jaillissement de la beauté », le long de la côte celtique.

Dans son nouveau livre, « Avec les fées », qui paraît aujourd’hui, l’écrivain Sylvain Tesson, l’auteur de la Panthère des neiges, s’embarque le long de la côte celtique à la recherche du merveilleux. On en parle ce soir sur France5 dans l’émission La Grande Librairie* à 21h05 et on peut déjà lire des Extraits exclusifs sur le site et l’édition du Point à paraître jeudi 11 janvier.

Photo:Sylvain Tesson sur les falaises de Pen-Hir, au sud-ouest de la presqu’île de Crozon, en Bretagne, en juillet 2008.

« Je vois des fées partout », avait écrit le poète Paul Fort. Quelle chance ! me disais-je enfant. J’en rêvais, moi aussi. Adulte, j’y renonçai, comprenant que la fée ne se rencontre pas. Elle se convoque, prenant le nom de tout moment où reculent le vacarme des hommes, la bêtise des chiffres.

Je dormis à l’extrême ouest de l’Espagne, en Galice, au Castro de Baroña, sur un éperon de granit avancé dans les flots. Au premier siècle avant Jésus-Christ, des hommes vivaient là, tenant leur poste devant le couchant. Ils étaient venus des profondeurs de l’âge du bronze et de l’Europe centrale. Ils s’étaient établis sur les parapets de l’Occident et maintenus, pendant que les Romains s’occupaient à structurer le territoire. Subsistaient leurs fondations : des cercles sur un replat rocheux. Ici on avait prié le soleil, et forgé des bijoux derrière des remparts. C’était le temps où l’Autre constituait le danger principal.

Je me couchai contre un soutènement, au-dessus du ressac. Il y a deux mille ans, les mêmes vagues résonnaient sur le même granit. La mer ne fatigue pas. Je sentais vibrer l’onde dans mon dos. Qui avait mis en marche la première vague ?

Tout a changé dans ce monde sauf le roulement de la mer, la grandeur du ciel et la chaleur de la lumière sur la peau. L’une des joies de la vie est de capter ces phénomènes éternels. Il y avait les flammes du feu, le chant des oiseaux, le vent dans les avoines, un sourire parfois à travers une mèche de cheveux.

Les motifs de l’Ouest atlantique se trouvaient disposés autour de moi : les granits usés, les fougères, et les ronces qui déchiraient le vent. Il régnait une jeunesse dans cette nature pointue. Parfois le mauve d’une bruyère mettait une préciosité dans la matrice d’iode et de photon. Pendant trois mois, je ne quitterais pas l’héraldique de ce tapis. Vive la mouette et l’ajonc !

La nuit tomba, je restai éveillé jusqu’à deux heures, songeant aux bras blancs de mon amie. Je m’en étais arraché mais j’entendais la mer. Les troubadours du XIIe siècle le savaient : le vent et les vagues convoient le souvenir de la bien-aimée. Conseil aux cœurs brisés : dormir sur les grèves.

MENHIRS, DÉSIR, ET FIXITÉ

On rentra au voilier le long de la falaise. D’autres théories [sur les menhirs] fleurissaient. Une littérature scientifico-ésotérique avait produit sa vérole d’explications : autels du culte, pierres de sacrifices, emplacements funéraires, calendriers solaires, repères extraterrestres pour atterrissages d’urgence. Il devait exister une théorie sexuelle avec menhir incarnant le priapisme du grand Pan ! Le menhir serait la preuve que la mer excite la terre.

Les menhirs demeuraient. Ils montaient la garde. Leur présence garantissait leur légitimité. Cela suffisait.

« Ce soir-là, au carré du bateau, j’avançai une explication. L’homme comprenant qu’il était un roseau vibratile aurait planté des pierres pour conjurer sa fragilité. Malade de désir, affreusement furetant et toujours mécontent, contaminé par l’espérance, il aurait trouvé un soulagement dans le menhir. Son inquiétude se serait apaisée devant l’inerte. Tout le menaçait : l’horizon chassait, la mer rageait. La pierre, elle, ne bougeait point. Luxe, calme et fixité. Quel repos !
Car le changement est la plaie, l’angoisse, le malheur de l’homme. Ô que revienne le temps des menhirs. Que cesse l’épilepsie du monde.

UNE ÎLE À LA JULES VERNE

Le bateau craquait. La mer croisa ses vagues. On affala, on gîtait toujours ; on réduisit, on accélérait encore. On frôla les falaises vers le mouillage du nord. Le sommet de l’île se dévoila dans la brume. Je revoyais les gravures de vaisseaux naufragés des éditions Hetzel de Jules Verne.

Les crêts se hérissaient de clochetons. Des grottes crevaient les parois. Les coulées de plantes frappaient de bronze les orgues écroulées. Dans l’imaginaire celtique, le paradis se situait sur une île, comme l’Avalon d’Arthur. À chaque île son être propre. Mort, on s’y retirait. On avait l’éternité pour en faire le tour. Pour l’instant nous étions vivants, c’est-à-dire trempés.

Au pied des faces, les guillemots guettaient, près de la ligne de houle. Parfois leurs colonies étaient agitées de spasmes imprévisibles. Soudain des milliers d’oiseaux volaient autour de nous. Des macareux fusaient, des fulmars plongeaient. Un goéland passait. Les mouettes semblaient inquiètes (resterait-il du poisson ?). Les phoques vautrés dans le varech assistaient à ces ripailles : fat pride dans le goémon.

(…)

La « fée » symbolisait la lutte contre ce qui s’annonçait : le profit marchand, l’emprise technique, l’urbanisation grouillante, la folie de la foule. Et, même si elle a perdu le combat au siècle 21, la fée incarne encore le refus d’un monde immonde gouverné par la stupidité des machines et la méchanceté des masses.

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