Interview Exclusive: Tout ce qu’il faut savoir sur la vie d’une famille d’agriculteur/éleveur pour exploiter en bio et mieux comprendre la crise de mars 2024.

Interview Exclusive: Tout ce qu'il faut savoir sur la vie d'une famille d'agriculteur/éleveur pour exploiter en bio et mieux comprendre la crise de mars 2024.

Bien-être animal, passage aux cultures bio, réglementation Européenne, relations au voisinage et contraintes du climat extrême. La famille Patry connait et en parle chaleureusement sans langue de bois. Il faut dire que dans ce terroir de la chataîgne, leur commune de Dournazac est un des rares villages qui n’a pas inversé l’enseigne comme la plupart en Nouvelle Aquitaine. Des agriculteurs heureux ?

La famille Patry est installée en Limousin depuis exactement 50 ans sur 260ha. Ce sont d’abord Serge et Béatrice, venus de Normandie qui se sont installés avec 30 vaches à une époque, en 1974, où le gouvernement incitait les agriculteurs à « investir » les territoires ruraux comme le Limousin, encore sous-exploités. Aujourd’hui ce sont leurs enfants, Pamela et Guillaume Patry qui dirigent le Gaec* Patry depuis 2003, avec passion et détermination au fil des saisons et des décennies, car ce noble métier, respecté des Français, est aussi mal connu et décrié par d’autres. La revue associative « Vivre-à-Dournazac » vient de publier dans sa dernière édition 171 cette interview. Plus qu’un témoignage c’est un tête à tête intime va plus loin pour découvrir la Terre des hommes et des femmes de terrain.

Interview Exclusive: Tout ce qu'il faut savoir sur la vie d'une famille d'agriculteur/éleveur pour exploiter en bio et mieux comprendre la crise de mars 2024.
Serge Patry et sa fille Pamela

– Chacun son histoire, comment êtes-vous arrivés ici au pays de la châtaigne qui compte 3597 ha pour 670 habitants ?

Serge PATRY : Je suis arrivé en Limousin en 2CV avec mon frère en 1974, Nous logions à Marval. Envoyés par le Centre d’accueil de migration de Limoges, ça s’appelait comme ça à l’époque. On touchait une prime d’installation comme jeune agriculteur alors que les Limousins partaient à Paris : il y avait du boulot partout. J’ai commencé avec 34 hectares sur notre ferme de Dournazac, sur les conseils du Père de Rochebrune, le curé de Marval.

– Qu’est-ce que vous aimez le plus dans votre métier ?

Pamela PATRY : Ce qui me plaît le plus ? C’est de m’occuper de mes animaux, surveiller les vêlages (les naissances), prendre soin des 100 vaches de l’exploitation. Pour la vente, nous engraissons les femelles et les mâles partent en broutards, des veaux sevrés en pâturage, quand ils ont 8/9 mois, souvent en Italie où ils sont engraissés. C’est ce qu’on appelle les « veaux d’Italie ».

– Quelle est la taille de votre exploitation à Dournazac, avec quelles caractéristiques ?

P. PATRY : Notre exploitation est en agriculture biologique depuis 2020. Nous exploitons 260ha en polyculture élevage et nous produisons des bovins limousins et des céréales destinés à la vente. Pour s’en sortir en « bio », il faut être autosuffisant sur le plan de l’alimentation du bétail : en fourrage mais aussi en concentré. En effet, il faut produire soi-même les aliments protéinés qui constituent le « concentré », nécessaire à l’engraissement sur place. Nous mettons en culture du méteil : c’est un mélange de graines semées toutes en même temps où nous trouvons par exemple une base d’avoine, des légumineuses comme le pois et de la féverolle. Une fois moissonné, ce méteil est broyé puis stocké dans des gaines en plastique, à l’abri de l’air et de la pluie. Cela nous permet de faire des rations que nous distribuons tous les trois jours et qui viennent en complément du fourrage (foin).

– Quand on parle du fourrage on ne peut pas s’empêcher de penser à 2023, année de forte sécheresse suivie de pluies continues. Comment avez-vous affronté ce climat extrême ?

P. PATRY : Oui, c’était une année très difficile, mais on ne s’en est pas trop mal sorti ! Parce que nous avons eu quand même de l’herbe jusqu’à fin juillet. La difficulté, c’était de récolter du bon foin en première coupe en juin, et on a fait de bons regains. Et après, la période des moissons a été laborieuse car nous avons eu de la pluie très régulièrement, ce qui a produit des pailles moyennes et difficiles à récolter sèches. Il nous a fallu ensuite soigner les bêtes de très « bonne heure » (leur apporter du foin) d’août à octobre. Heureusement, nous avions suffisamment de stocks pour passer l’année tranquillement.

– Produire sans herbicides est un problème majeur, qu’est-ce qui vous a incité à « passer en bio » ?

P. PATRY : En fait quand nous étions en exploitation conventionnelle, nous nous étions déjà posé la question de l’autonomie alimentaire et nous produisions du soja. Mais à ce moment-là, mon frère Guillaume n’était pas convaincu par l’agriculture « bio ». Mais une année, il a raté ses céréales à cause des herbicides qui n’avaient pas fonctionné. Ce jour-là, ce fut le « déclic ». Et nous sommes passé en bio en 2019*** !

Serge PATRY : Il y a eu quand même des expériences antérieures pour se lancer dans la culture bio : mon beau-frère, par exemple, avait essayé, mais avec des résultats décevants : son maïs était toujours de moins bonne qualité comparativement à ceux de l’agriculture en conventionnel. Cela a pourtant créé un marché ; avec des outils de désherbage mécanique, pas chimique ! Au final, nous faisons toute de même moins de rendement mais nous sommes mieux payés.

– A quel moment se fait ce désherbage ?

P. PATRY : Pour la culture du maïs par exemple, nous semons et deux jours après le semis, nous faisons ce qu’on appelle « un passage à l’aveugle » avec la herse étrille. Ce qui permet de détruire les mauvaises herbes au stade où elles commencent juste à développer leurs racines. Ensuite nous repassons une deuxième fois la herse étrille, quand le maïs est bien implanté et qu’il y a déjà des feuilles, même si cela arrache quelques pieds. Puis nous passons la bineuse entre les rangs. Quand les conditions météo sont favorables, le maïs est une plante qui pousse très rapidement et cette année 2023, ça a très bien marché !

– Pourquoi le maïs a-t-il si mauvaise réputation ?

Je pense qu’il a mauvaise presse à cause de l’irrigation. Mais dans nos régions, ici, nous faisons pousser du maïs simplement, sans épuiser les sols, sans irrigation. Il faut environ 50 millimètres d’eau, ce n’est pas énorme. Des arrosages réguliers mais pas forcément très conséquents. Chez nous, le maïs représente 10ha sur un total de 106 ha de cultures, le reste c’est de la pâture pour 154ha. Nous gardons 20ha de méteil pour alimenter les vaches.

Interview Exclusive: Tout ce qu'il faut savoir sur la vie d'une famille d'agriculteur/éleveur pour exploiter en bio et mieux comprendre la crise de mars 2024.
Serge, Pamela et son frère Guillaume

– Pour cultiver, êtes-vous mieux situés à Dournazac comparativement aux autres exploitations situés sur d’autres communes du département de la Haute-Vienne ?

P. PATRY : Non , nous sommes dans une zone dite « Handicap naturel », avec quand même beaucoup de fonds de près, des zones humides. Pour travailler c’est pas forcément le plus simple : ce sont des terres qui ne sont pas labourables, ni mécanisables. Nous y arrivons parce qu’il n’y a qu’une solution pour les exploiter ; ce sont les animaux. Une exploitation sans vaches n’est pas possible ici. Sinon ces surfaces seraient abandonnées. En bio, il y a un grand intérêt à exploiter en système polyculture élevage : les vaches produisent le fumier qui nourrit les cultures.

– Le 4 décembre 2023 un projet de loi de la députée Nicole PEIH** a été adoptée à l’Assemblée nationale pour mieux protéger les agriculteurs des plaintes des néoruraux à cause des nuisances bruits ou odeurs. Qu’en pensez-vous ?

P. PATRY : Je pense qu’il était grand temps de trouver une solution. Nous aussi , nous connaissons ces problèmes de voisinage depuis très longtemps. Je l’évoque rapidement ; tout est prétexte à plainte alors qu’avec nos voisins, nous n’avons pas de problèmes. Cela vient de gens qui n’habitent même pas dans le village de façon permanente. Oui, du coup cette loi est très bienvenue pour tous les agriculteurs parce que je pense que le problème existe depuis longtemps et qu’il ne faisait que s’aggraver d’année en année.

Il faut comprendre que notre métier peut générer du bruit et des odeurs. Pour des raisons totalement naturelles. Par exemple quand nous sevrons les veaux et bien les vaches gueulent , les veaux aussi et cela peut durer toute la nuit. Mais ça fait partie de nos pratiques d’élevage. Regardez, l’épandage du fumier crée des odeurs alors que c’est l’engrais le plus naturel qui puisse exister. Restons logique, ça ne sent pas bon mais il faut peut-être mieux supporter des mauvaises odeurs une journée que des substances qui n’ont pas d’odeur et qui vont réellement vous polluer.

– Les valeurs du monde rural et le vote des ruraux sont convoités par les parties avant les prochaines Elections Européennes le 9 juin. Par exemple la liste Alliance rurale est portée par le patron des chasseurs. Cela vous concerne un peu , beaucoup, pas du tout ?

P. PATRY : Ha, concerné par les élections européennes ; oui mais pas plus par le parti Alliance rurale que je ne connaissais pas. Pourquoi pas, ils défendent leurs valeurs . En tant qu’agriculteurs, nous sommes très concernés par l’Europe, avec la PAC. Je préférerais qu’il n’y ait pas de PAC et qu’on puisse vendre au juste prix pour vivre. Malheureusement aujourd’hui on peut difficilement faire sans. J’ai fait la formation Coût de production pour la viande bovine et il en est ressorti que pour réaliser un vrai salaire, il faudrait qu’on double notre prix de vente de la viande.

Le consommateur a déjà du mal à s’offrir de la viande rouge, je ne vois pas comment ça pourrait fonctionner. A la base la PAC c’était de dire aux agriculteurs, on va baisser vos prix de vente mais on va vous compenser. On appelait ça une compensation de prix. Maintenant, cela fait plusieurs décennies que la PAC existe, on dirait que tout le monde l’a oublié, j’ai l’impression que l’agriculteur est maltraité justement parce qu’il touche des aides PAC alors qu’au fond on n’avait rien demandé au départ. Nous, on voulait juste bien vendre. La mondialisation a fait que la viande arrive moins chère d’Argentine ou du Brésil. Mais nous en France, même en Europe, je pense que nous ne sommes pas compétitif du tout à l’échelle mondiale et s’il y a plus de PAC c’est fini pour l’agriculture française. Mais notre viande restera toujours meilleur que celle d’Argentine.

S. PATRY : En 2022, j’étais à Inovagri à Toulouse. Le soir au restaurant, on m’a servi de la bavette alors j’ai demandé à la patronne si c’était de la viande française ? Oh non, à ce prix-là on ne peut pas, c’est de la viande d’Argentine. Et quand j’ai vu le patron, il m’a dit que c’était de la viande Allemande. Si seulement on nous servait de la bavette Limousine de chez nous, qui est bien aussi savoureuse, respectueuse du bien-être animal et de l’environnement !

– Aujourd’hui, le maître mot de l’histoire c’est de « s’adapter »

P. PATRY : La question européenne c’est compliqué pour les agriculteurs. Il y a l’aspect PAC et toutes ses contraintes Européennes, que ça soit sur l’environnement ou sur les conditionnalités, c’est le plus dur. Aujourd’hui, le maître mot de l’histoire c’est de « s’adapter » mais il y a un âge où il y en a ras-le-bol de s’adapter. Quand vous voyez sur 50 ans comme nous nous sommes adaptés. Nous produisions du lait mais nous n’avons pas hésité à trancher et à dire stop en 2013. Quand je vois la considération que les industries laitières ont eu pour les producteurs de lait, je ne comprends pas qu’il y en ait encore. On a dit stop ,on ne va pas être les esclaves de ces gens-là !

– C’est à cette période où vous êtes passés à l’élevage allaitant ?

P. PATRY : Oui, nous nous sommes spécialisés dans l’élevage de limousines en 2013, et nous avons augmenté le cheptel de vaches parce que nous en avions déjà une trentaines.

– Que pensez-vous de la citation de Victor Hugo : il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes, il y a juste de mauvais cultivateurs ?

S. PATRY : Ha, c’est clair, il n’y a pas de mauvaise terre, il n’y a que de mauvais paysans,

P. PATRY : il suffit juste de s’adapter à son terroir. Ici en Limousin, nous ne sommes pas en Beauce, on ne sortira jamais des rendements extraordinaires c’est à nous de nous adapter à notre territoire.

S. PATRY : La terre Normande est la même qu’ici, pour nous c’était la même terre. C’est du schiste Silicieux (…) c’est une terre acide qui ne produit pas de transformation, il faut donc apporter du calcaire, la terre travaille et les vers s’y installent pour devenir une terre fertile. Autrefois, en Normandie il y avait des aciéries qui produisaient un déchet (scories Thomas) à bon marché qui se vendait aux agriculteurs sur place et les terres sont devenues riches parce que c’était un ingrédient à base de chaux , riche en oligo-éléments. Cela a fait la fortune de la Normandie mais ici en Limousin, il était trop cher avec le transport. Par contre à 30 km on avait le calcaire de Saint-Martial-de-Valette. Je partais tous les ans chercher ce calcaire avec ma benne. Les gens nous prenaient un peu pour des secoués, parce que tout le monde achetait la chaux à son fournisseur d’ amendement. Les technico-commerciaux me disaient « mais tu mets des cailloux dans tes champs » !!

– C’est donc votre expérience normande qui a été le point de départ ?

P. PATRY : Non, c’est parce que nous avions empierré la cour de la ferme avec ce caillou calcaire et nous avons constaté que les pieds de luzerne poussaient, c’est une très bonne plante, d’où l’idée du calcaire dans nos champs afin de relever le Ph, et à moindre coût.

– Quel est votre message, votre souhait particulier pour 2024 ?

P. PATRY : La paix pour tout le monde, pour les agriculteurs et leurs voisins, pour tous ceux qui vivent la guerre ; j’aimerais beaucoup plus de tolérance, de l’entraide parce que je trouve que la société devient tellement égoïste, ça me fait peur pour l’avenir !

S. PATRY : Oui, la paix et la bonne entente, qu’il n’y ait plus de jalousie !

– Merci à vous de votre participation

Interview Exclusive: Tout ce qu'il faut savoir sur la vie d'une famille d'agriculteur/éleveur pour exploiter en bio et mieux comprendre la crise de mars 2024.

*GAEC : Groupement Agricole

** Ce projet de loi est soutenu par le Premier Ministre , Gabriel ATTAL en février 2024 suite aux manifestations de la filière agricole et lors du Salon de l’Agriculture à Paris : Du 24 février au 3 mars 2024

*** La Nouvelle Aquitaine est la 2e région bio française.

Propos recueillis par Jérôme Robert pour la publication Vivre à Dournazac (Haute-Vienne)

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