Exclusif: Interview et Lettre ouverte à Valérie Létard, la nouvelle ministre du Logement par le fondateur d’Habitat & Humanisme, Bernard Devert.

Alors que Valérie Létard vient tout juste d’être nommée ministre du logement dans le gouvernement Barnier, elle est attendue de pied ferme au 84éme congrès HLM de l’Union sociale de l’habitat (USH) qui se tient cette semaine à Montpellier (24-26 septembre). Si le budget, la sécurité, les hôpitaux, les retraites, l’agriculture et le pouvoir d’achat explosent parmi les urgences du Premier ministre, c’est le logement qui canalise toutes les attentions par sa capacité à faire repartir la filière bâtiment alors qu’il n’y a jamais eu autant de freins à son développement et des besoins énormes: il manque 280 000 logements étudiants et près de 2,7 millions de personnes en attente de logements sociaux. Face à ces incohérences , Bernard Devert, le fondateur de la fédération Habitat & Humanisme depuis 35 ans dont la finalité est la mixité sociale par le logement, propose des solutions concrètes, applicables rapidement. Lettre ouverte à Mme la ministre !

Bernard DEVERT, photo: La Montagne, groupe Centre France

ApprofonLire: Aujourd’hui, comment concevez-vous la mission d’Habitat & Humanisme devant l’incapacité des gouvernements, depuis des décennies, à débloquer le logement en France, social et privé ?
– Bernard DEVERT: Cette incapacité n’est pas seulement celle du Gouvernement qui n’a pas pris la mesure du drame du mal-logement, elle est quasiment encouragée par une indifférence de l’opinion, habituée depuis des décennies au fait qu’il y ait des personnes dans la rue et l’existence de quartiers si paupérisés, devenus ceux que l’on nomme « perdus pour la République ».
Cette ségrégation devrait réveiller les consciences ; il n’en est rien ou si peu. Il faudrait retrouver la force de ces mots de Charles Péguy : habitués et non point habités. Que de programmes refusés non seulement par des élus, mais aussi par les riverains qui, à la sonorité du mot social, se regroupent pour faire circuler des pétitions et si elles ne sont pas suffisantes recourent à la justice pour tenter de faire annuler les permis de construire.

L’indifférence à l’autre traduit un entre soi constituant une barrière intangible à l’autre soi. La mission d’Habitat et Humanisme est de mettre en œuvre la mixité sociale. Assez de ce mépris qui construit des murs en toute impunité au point d’assigner les plus fragiles dans un ailleurs qui n’est autre que le trottoir !
La fraternité, prise en compte, corrige ces accrocs du tissu social qui déchirent l’égalité, l’impossibilité de se loger décemment et la liberté de choisir son toit. Comme sont justes les mots de Martin Luther King : à ne point vivre ensemble comme des frères, nous finirons comme des fous. La mixité sociale est une sagesse incomprise, pour le moins piétinée. Il est hors de question, malgré les difficultés auxquelles nous nous heurtons en raison de la spéculation foncière, que nous abandonnions le combat. Il est permanent, mais n’est-il pas celui de la justice qui n’a jamais été aussi difficile quand il touche le logement.

 Quelles seraient vos propositions prioritaires pour la Nouvelle  ministre du logement ?
-BD: Deux propositions vitales sont à prioriser; Pouvoir maîtriser le foncier pour redonner à la mixité, actuellement en recul, une nouvelle acuité. Et bâtir la mixité pour réveiller à la fraternité.

Une lutte contre la spéculation et l’enrichissement sans cause s’impose.

Est-il juste que les propriétaires fonciers qui bénéficient d’importants investissements publics de l’Etat et des Collectivités locales voient soudainement l’explosion de la valeur de leur patrimoine foncier. Dans toutes les métropoles et en Île-de-France, notamment l’opération du « Grand Paris », le sujet revêt une acuité toute particulière. Ces rentes ne peuvent pas se pérenniser tant elles créent des iniquités. Acter durablement que l’article 55 de la loi SRU devra répondre à une exigence sociétale de loger les plus vulnérables pour 25 % et les classes moyennes pour ce même pourcentage entraînera nécessairement – et c’est heureux – une baisse des charges foncières.
La prise en compte de la finalité de l’acte de construire se révélera alors un régulateur des prix, à charge pour les Communautés d’Agglomération d’intervenir là où les transactions sont opérées dans des conditions déraisonnables.
Rappelons que 70% de la population est éligible au logement social. Il ne suffit pas de rechercher un choc du logement, il convient de s’interroger pour qui, afin de mettre en exergue les urgences et par là même les priorités.
Enfin, une telle orientation impactera ipso facto les charges foncières pour les rendre plus raisonnables, la Collectivité se gardant un droit de régulation dans l’hypothèse où ces logements intermédiaires ne seraient pas réalisés faute d’un prix du foncier excessif.
Un des risques de cette mesure – fût-elle juste – est la rétention des terrains. Les Pouvoirs Publics n’ont-ils pas pour mission de désarmer la violence que constitue le mal-logement en agissant, si nécessaire, par une fiscalité ad hoc.
Si la fraternité est souvent oubliée, c’est que peut-être nous avons perdu le sens de l’humain. L’heure n’est surtout pas de tenter une nouvelle fois de détricoter cette loi, ce qui serait une provocation et une insulte à l’égard des plus pauvres.
b) La réduction de la vacance des logements en fléchant leur ouverture à destination des foyers hébergés.
Comment ne pas partager l’inquiétude du devenir des personnes hébergées, plus de 200 000 en France. Nous ne saurions ici le reprocher à l’Etat, saluant l’effort qu’il a entrepris aux fins de mettre à l’abri les plus vulnérables.
Force est de constater que les toiles de tente essaiment dans les villes et métropoles. La pauvreté connaît une telle visibilité qu’elle participe à l’accablement de la Société, pensant que la Nation est désarmée devant le malheur d’une montée inexorable de la misère.
Or, 320 000 logements sont vacants dans les villes, là où la demande d’un toit est la plus forte.
L’heure n’est pas de jeter l’opprobre sur quiconque, conscients que nombre de bailleurs ont renoncé à la location de leurs biens afin d’éviter tout contentieux pour n’avoir pas les moyens et toujours le savoir-faire pour recueillir les subventions facilitant les travaux de réhabilitation. Les bailleurs, pour plus de 60%, gèrent directement leurs biens sans avoir recours à des professionnels. La question est comment les rejoindre ? 320 000 logements vacants dans les quartiers anciens en cœur de ville, plus de 200 000 foyers appelés à sortir de leur hébergement, s’ouvrent ici des marges de manœuvre.

Quelles sont les réponses possibles ?
-BD: En proposant à ces propriétaires d’apporter à des foncières solidaires à titre onéreux le bien inoccupé. Au terme de cette transaction, devenant associés de l’entité portant le patrimoine, ils bénéficieront d’une souscription qui, en l’état des dispositions fiscales, offre une réduction d’impôt de 25% au titre de l’IRPP. Ce patrimoine est à réhabiliter ; il serait assez juste que cette réduction d’impôt soit majorée de 15% à 20% dès lors que ces porteurs de parts s’engageraient au développement du logement très social (Prêt PLAI et PLUS) acceptant à ce que la liquidité de leurs titres n’intervienne pas avant une période de 15 années, à courir du jour de la souscription. Ce patrimoine, appréhendé par les foncières, serait affecté prioritairement, voire exclusivement, à la sortie des ménages relevant de l’hébergement. Une difficulté concerne les personnes hébergées en souffrance psychique, d’où un suivi médical en lien avec le dispositif de l’aide à la vie partagée. La gestion de ces logements est délicate pour s’inscrire essentiellement dans le diffus, mais cette observation n’en annihile pas pour autant la perspective.

l’explosion du coût du foncier de l’immobilier est liée à quatre facteurs :
1 – les normes : elles sont légitimes pour réduire les charges énergétiques,
2 – les coûts de construction,
3 – l’impact de la hausse des taux d’intérêts des prêts
4 – Enfin et surtout les charges foncières devenues déraisonnables.

La taxe des logements vacants :
320 000 logements recensés par le Ministère du logement vacants dans les villes soulignent l’inefficacité de cette taxe. La solution la plus incitative serait la préemption de ces logements au bénéfice de ceux hébergés en attente d’un logement décent. Les étudiants  ou apprentis trouveraient avec ces logements, situés très souvent en centre-ville, une réponse adaptée.

Site officiel:

www.habitat-humanisme.org

Interview Exclusive avec Jérôme Robert pour ApprofonLire.fr le 25 septembre 2024

–> La suite de l’interview sera publié le 7 octobre, lors du SIBCA (Salon immobilier Bas Carbone) à Paris, du 7 au 9 octobre 2024 au Carrousel du Louvre.

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