Exclusif: Interview avec le Dr Claude Grange , spécialiste des soins palliatifs, coauteur du livre Le dernier souffle qui a inspiré le film de Costa-Gavras.

Interview avec le Dr Claude Grange , spécialiste des soins palliatifs, coauteur du livre Le dernier souffle qui a inspiré le film de Costa-Gavras

Quelle plus belle récompense de voir son livre , coécrit avec Régis Devray**, transposé au cinéma . Et qui plus est , avec la finesse et l’exigence de la mise en scène du réalisateur Costa-Gavras. En trente ans de service , le Dr Claude Grange a accompagné plus de 4000 malades en fin de vie qu’il considère, chacun, comme une personne unique et non un cas médical. De nouveau en débat  au Parlement dès mars 2025 , le regard de ce médecin passionné par la médecine palliative, éclaire le sujet sur ce défi  humain , plus que politique. A voir au cinéma et à lire pour voir autrement.

Interview avec le Dr Claude Grange , spécialiste des soins palliatifs, coauteur du livre Le dernier souffle qui a inspiré le film de Costa-Gavras
Costa-Gavras et le Dr Claude Grange

ApprofonLire:  Le débat à l’Assemblée Nationale a commencé en 2024. Vous êtes médecin spécialiste des soins palliatifs et à ce titre vous portez un regard précis aux malades en grandes souffrances et leur famille: votre expérience et votre engagement vous permet de mieux comprendre. Pourquoi une loi est ainsi souhaitable en France ?

Claude GRANGE: Vous avez raison, l’expérience d’avoir accompagné dans les derniers moments environ 4000 personnes en 25 ans, me donne une certaine légitimité pour affirmer que les 3 besoins essentiels en fin de vie, sont de :ne pas souffrir, ne pas se sentir abandonné et ne faire que des actes qui ont du sens pour le malade. C’est ce que pratiquent les soins palliatifs. Alors commençons par cela et ne mettons pas la charrue avant les bœufs.

Depuis le 1er juin 1999 Article 1 la loi dit : « Tout malade dont l’état le requiert a le droit de bénéficier de soins palliatifs » hors plus d’un malade sur 2 n’y a pas accès et plus de 500 malades par jour meurent non soulagés. Avant d’envisager une nouvelle loi, commençons par rendre effective les lois déjà votées en 1999, 2005, 2016. Alors, Pourquoi une nouvelle loi est souhaitée en France. Pour la principale raison d’avoir laissé mourir des personnes dans des conditions inacceptables de non soulagement. C’est un combat légitime d’améliorer les conditions du mourir partout en France et pour tout le monde. Mais faut ’il supprimer le souffrant pour supprimer la souffrance ? je pense que ce n’est pas souhaitable

Le projet de loi sur La fin de vie inquiète la communauté des soignants. Cela vous inquiète-t-il également ?

– CG: Oui bien évidemment, car cela va changer profondément nos valeurs du prendre soin des plus vulnérables, des plus malades. Notre vocation de médecins, de soignants, c’est de guérir quand on peut, et de soulager quand on ne peut plus guérir. Mais nous n’avons pas fait ce métier pour prescrire ou administrer un produit létal. C’est antinomique au soin. La grande majorité des professionnels de santé y sont opposés.

En Belgique , soins palliatifs et euthanasie ne sont pas opposés mais complémentaires. Selon vous, cette approche est-elle un compromis au projet de loi tel qu’il est défini par les 5 critères du projet ?

CG: La Belgique n’est clairement pas le bon modèle à suivre. Quand on voit que les critères restrictifs du départ s’ouvrent au fil du temps, au nom de la liberté individuelle. L’ouverture aux mineurs, aux maladies psychiatriques, aux personnes âgées en mal de vivre. En 2022, Shanti de Corte, 23 ans, rescapée des attentats de Bruxelles a été euthanasiée pour souffrance psychologique. La loi n’a pas fait diminuer les euthanasies clandestines. Une euthanasie sur 3 n’est pas déclarée. Définitivement, ce n’est pas le modèle à suivre, la Belgique a pour autant le mérite de nommer les choses et de parler explicitement d’euthanasie, alors que notre gouvernement persiste à vouloir dissimuler cet acte sous le vocable plus digeste « d’aide à mourir. »

Ce projet de loi en France est une loi de liberté individuelle mais certainement pas de fraternité. C’est une usurpation de le faire croire. De même, vouloir parler de complémentarité ou de continuité entre les soins palliatifs et l’aide à mourir est incorrect. C’est une véritable rupture à la fois anthropologique, démocratique et médicale.

4/ Ce qu’on appelle le pronostic vital engagé (PVA) va-t-il changer de sens avec cette nouvelle loi ?

C’’est le début d’un premier verrou qui saute. Au départ pour qu’une demande d’aide à mourir soit acceptée il fallait respecter 5 critères cumulatifs, être majeur, de nationalité française, avoir une maladie grave incurable avec un pronostic vital engagé à court ou moyen terme, être capable de discernement et avoir des souffrances réfractaires à tout traitement. La commission spéciale avant le vote a déjà fait sauter le premier verrou. Cela montre que les autres suivront, car c’est le constat dans les pays qui ont légiféré. Les critères d’exclusion sautent les uns après les autres. Aucun pays n’est revenu en arrière.

Maintenant, je reconnais que le pronostic vital engagé à moyen terme est impossible à définir à titre individuel et serait donc source de contestation. Mais cela disait quelque chose d’une fin proche, ne plus l’évoquer cela ouvre davantage le champs.

La Dr Claire Fourcade (SFAP) déclarait dans la presse en mars 2024: J’ai l’impression que le cadre s’écroule et qu’on ne regarde pas la mort en face. Qu’en pensez-vous ?

CG: Claire FOURCADE présidente de la SFAP au sein du collectif de nombreuses sociétés savantes de médecine porte courageusement la voix des soignants qui souhaitent continuer à prendre soin des malades en fin de vie pour les accompagner dans le meilleur confort possible, en refusant les traitements déraisonnables, tout comme l’administration d’un produit létal.

La mort est de plus en plus médicalisée alors que c’est avant tout un événement personnel, familial. Nous devrions davantage l’apprivoiser.

Nous vivons dans une société qui occulte la mort. La mort est de plus en plus médicalisée alors que c’est avant tout un événement personnel, familial. Nous devrions davantage l’apprivoiser, la socialiser. Parce que la mort fait peur nous avons délégué ce rôle d’accompagnants aux soignants et notamment dans les situations les plus complexes ce sont bien les équipes de soins palliatifs qui restent présent dans les chambres, les yeux dans les yeux, main dans la main, jusqu’au dernier souffle, garantissant le non-abandon. Mais ne leur demandez pas de vous administrer la Kill-pill. Emmanuel Levinas disait : « le visage de l’autre est, ce qui m’interdit de tuer »

-L’aide à mourir est d’abord un choix de société, cela reste donc un choix politique et un débat où l’ancien Président N. Sarkosy a déclaré que « Tout ne peut pas être réglé par la loi…et qu’un effort particulier doit être engagé en faveur des centres de soins palliatifs ». Quelles priorités proposeriez-vous ?

CG: Nous avons une responsabilité car pendant trop longtemps la médecine a délaissé les mourants au profit de la médecine triomphante qui guérit. Trop de personnes sont décédés dans des conditions inacceptables. Quand on a vu, le proche que l’on aime, mourir dans d’atroces souffrances sans aide et soutien, on peut comprendre ces réactions. : « plus jamais ça ». Ce combat est légitime mais la solution proposée n’est pas la bonne. La priorité, c’est le développement de soins palliatifs partout en France et pour tous ceux qui vont mourir.

Restera les personnes qui veulent décider du moment de leur propre mort par principe d’autonomie qui est, en effet, un choix de société. Nous sommes en démocratie ce sera donc aux représentants du peuple de décider s’il y a une réponse juridique possible pour le permettre dans certaines conditions.

Et quel est le regard particulier des soignants ?

CG: De grâce protégez nos soignants et épargnez-les de devoir prescrire, administrer le produit létal. La loi est davantage là pour protéger les plus faibles les plus malades et les plus vulnérables, elle ne pourra répondre à toutes les situations singulières. Est- ce à l’état, à l’hôpital d’organiser la mort des incurables ?  Je ne pense pas.

En conclusion, comme on ne pourra se mettre d’accord entre ceux qui pensent que donner la mort ne peut être un soin et ceux qui pensent que ce serait l’ultime soin, il faudra un compromis pour faire pas vers l’autre qui pense différemment. Rendons effectif les soins palliatifs partout en France et le compromis serait de dépénaliser le suicide assisté par des volontaires identifiés modèle de l’état d’Oregon contrôlé par un juge mais en le sortant du champ médical.

Dr Claude GRANGE avec Jérôme ROBERT pour ApprofonLire.fr

SAPMI : Suicides Assistés Pour Malades Incurables par des Dispensateurs de Produit Létal.

** Le livre : Le dernier souffle, éditions Folio poche

www.folio-lesite.fr

Le film de son fils Victor Grange : www.vivants-lefilm.fr

Au cinéma , en France, LE DERNIER SOUFFLE :

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