Opinion: Jean-Antoine Duprat explique pourquoi la guerre de l’information Russe et les cyberattaques sont du même combat.

Jean-Antoine Duprat** s’exprime en Exclusivité pour ApprofonLire sur le contexte exact de la guerre de l’information entamé par la Russie dans le conflit avec l’Ukraine et le monde occidental. Alors qu’en 2024, près de la moitié de la population mondiale est appelée au urnes, jamais les risques de manipulation et de désinformation de l’opinion n’ont été aussi grands.

Des mots de la guerre à la (cyber) guerre des mots

« L’homme est bâti de manière que les fictions font beaucoup plus d’impression sur lui que la vérité. » Cette phrase du philosophe humaniste Erasme, dans son Éloge de la folie, trouve une tragique illustration, à l’impact planétaire, dans la logomachie de Vladimir Poutine pour justifier son agression contre son voisin souverain, l’Ukraine. Mais ce n’est pas une nouveauté ; avant lui Hitler comme Staline, pour ne citer que ces deux dictateurs, savaient manipuler les mots de la guerre pour endoctriner leurs populations et enfumer le reste du monde en se posant en victimes d’une prétendue agression extérieure, faisant porter aux autres la responsabilité leurs exactions. Et si un principe du droit romain affirme : Nemo auditur propriam turpitudinem allegans (nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude) rien n’arrête le maître du Kremlin ; il a ostensiblement violé la Charte de l’Organisation des nations unies, dont la Russie est pourtant un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité ; il ignore les condamnations internationales qui, sans être unanimes, sont largement majoritaires au sein de l’Assemblée générale de l’ONU ; il méprise le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale qui le vise sous l’accusation de crimes de guerre, Cour à laquelle il dénie toute compétence.

Selon Vladimir Poutine son « opération spéciale » déclenchée le 24 février 2022 vise à : protéger les Russes vivant dans l’est de l’Ukraine, qu’il affirme opprimés ; renverser un régime prétendument « nazi » installé à Kiev ; contrer les menaces de l’OTAN et d’un Occident « néocolonial » et « décadent » dont le seul objectif serait de détruire sa Russie « seule protectrice des valeurs traditionnelles. » L’essentiel n’est-il pas que ses alliés autocrates, la population Russe, le sud global, voire une partie des opinions publiques des démocraties occidentales, entendent, gobent ou pensent ce que la clique poutinienne affirme au monde ? Dès lors, que faire face à ce coup de force mené par une puissance nucléaire pratiquant une politique du fait accompli habillée de vérités alternatives sous-tendues de théories du complot ?

Tout d’abord, il est essentiel de rétablir la vérité ; les occidentaux n’ont en rien provoqué Moscou ; l’OTAN, alliance purement défensive – et même somnolente jusqu’à ce qu’elle soit brutalement réveillée par cette violente offensive ! – n’a jamais constitué une menace pour la Russie, qui d’ailleurs était informée de ses intentions, notamment à travers l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) où elle siégeait. Aucun régime nazi n’a pris le pouvoir à Kiev, les Ukrainiens aspirant au contraire à plus de démocratie, revendiquée en février 2014 à travers la révolution de Maïdan qui a fait fuir à Moscou le président pro-russe Viktor Ianoukovytch ; alors que cette même année les Russes annexaient la Crimée, premier acte de guerre contre l’Ukraine, face auquel les Occidentaux n’ont réagi qu’avec quelques sanctions économiques ! Comme le disait Eliot Carver, le super méchant, empereur des médias et champion de la désinformation, dans le film de James Bond : Demain ne meurt jamais : « le maître mot d’un grand article ce n’est pas qui, ni quoi, ni quand, c’est pourquoi ? » Au-delà des prétextes qu’il exhibe, pourquoi Vladimir Poutine a-t-il déclenché cette guerre ?

Pour plusieurs experts, il a la nostalgie de l’empire des tsars et de l’URSS ; il veut refaire de la Russie une des deux plus grandes puissances mondiales à l’égal des États-Unis (mais alors quid de son allié Chinois ?) ; il veut transformer la mer Noire en mare nostrum Russe ; il veut accaparer les richesses de l’Ukraine… Mais ne veut-il pas, surtout, préserver son régime de la fièvre démocratique, qui contamine les Ukrainiens, menace l’allié Biélorusse, propulse face à lui un Alexandre Navalny – tragiquement éliminé en février 2024 – qui, pour en être lui-aussi nationaliste, n’en apparaît pas moins en mesure de déstabiliser son pouvoir, voire de prendre sa place sur le trône des tzars ?!

2éme partie, à lire le 29 mars

** Jean-Antoine Duprat pour ApprofonLire
De formation juridique et historique, Jean-Antoine Duprat a été conseiller auprès de collectivités locales et d’institutions nationales, professeur associé, directeur adjoint de l’Institut d’urbanisme et d’aménagement de la Sorbonne. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et articles sur l’organisation territoriale, la Ve République, la géopolitique, les « fake news » et le cinéma.
Editions Glyphe
Dernier ouvrage, publié en mai 2023 aux éditions Glyphe:
« Dictionnaire des nouvelles idées reçues »:
A lire aussi: Info ou intox, le numéro 8 de France24, vidéo édifiante de 2022 dans les bureaux de vote en Russie:
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