Le 23 janvier 2021, par Anna Cabana.
Avec « Le parfum des fleurs la nuit », Leïla Slimani livre un texte très personnel. On la découvre moins sage. Plus dure. Et plus libre.
Leïla Slimani, prix Goncourt en 2016 avec Chanson douce, a accepté le principe de la jolie collection « Ma nuit au musée » : passer une nuit enfermée à la Pointe de la Douane, à Venise. Le résultat se nomme Le parfum des fleurs la nuit, un texte très intime dans lequel elle évoque son père et sa mort. Elle se confie au JDD.
D’ordinaire vous ne parlez guère de vous dans vos livres ; cette fois vous levez le voile sur l’intime.
J’ai accepté la proposition d’Alina Gurdiel [l’éditrice] parce que j’étais curieuse de ma réaction face à l’enfermement, j’avais envie de vivre l’expérience d’une solitude contrainte. Mais ma hantise, c’était d’écrire un texte artificiel, banal, nul, interchangeable, snob et inutile ; j’ai compris que la seule manière de faire pour que ce texte de commande ait un véritable sens, c’était d’écrire un texte qui soit vraiment intime.
C’est là que vous avez choisi d’écrire sur l’écriture?
L’écriture, c’est moi. Tout ce que j’évoque dans ce livre sur ma vie et sur mon intimité a trait à l’écriture. J’ai l’impression de très peu comprendre qui je suis, pourquoi j’ai fait telle ou telle chose ; si je regarde ma vie, je n’ai aucun sentiment de cohérence, je me sens portée par quelque chose que je ne maîtrise pas du tout. Tout ça est assez obscur. À l’âge qui est le mien maintenant, 40 ans, pour la première fois j’ai envie de commencer à me comprendre. Là, c’était l’occasion d’être confrontée à ce que l’écriture avait fait de moi, pourquoi j’y avais consacré autant de temps, pourquoi ça m’obsédait autant, pourquoi mon bonheur était tellement dépendant de ça, pourquoi c’était devenu si dévorant.
Lire la suite de l’article sur Le Journal Du Dimanche (réservé aux abonnés)
Comme un écrivain qui pense que « toute audace véritable vient de l’intérieur », Leïla Slimani n’aime pas sortir de chez elle, et préfère la solitude à la distraction. Pourquoi alors accepter cette proposition d’une nuit blanche à la pointe de la Douane, à Venise, dans les collections d’art de la Fondation Pinault, qui ne lui parlent guère ?
Autour de cette « impossibilité » d’un livre, avec un art subtil de digresser dans la nuit vénitienne, Leila Slimani nous parle d’elle, de l’enfermement, du mouvement, du voyage, de l’intimité, de l’identité, de l’entre-deux, entre Orient et Occident, où elle navigue et chaloupe, comme Venise à la pointe de la Douane, comme la cité sur pilotis vouée à la destruction et à la beauté, s’enrichissant et empruntant, silencieuse et raconteuse à la fois.
C’est une confession discrète, où l’auteure parle de son père jadis emprisonné, mais c’est une confession pudique, qui n’appuie jamais, légère, grave, toujours à sa juste place : « Écrire, c’est jouer avec le silence, c’est dire, de manière détournée, des secrets indicibles dans la vie réelle ».
C’est aussi un livre, intense, éclairé de l’intérieur, sur la disparition du beau, et donc sur l’urgence d’en jouir, la splendeur de l’éphémère. Leila Slimani cite Duras : « Écrire, c’est ça aussi, sans doute, c’est effacer. Remplacer. » Au petit matin, l’auteure, réveillée et consciente, sort de l’édifice comme d’un rêve, et il ne reste plus rien de cette nuit que le parfum des fleurs. Et un livre.
Le parfum des fleurs la nuit, paru le 20/01/2021 aux Editions Stock.