Kristen Ghodsee est ethnographe et anthropologue à l’Université de Pennsylvanie (UPenn). Dans son ouvrage Why women had better sex under socialism, and other arguments for economic independence (Pourquoi les femmes ont une meilleure vie sexuelle sous le socialisme, plaidoyer pour l’indépendance économique – traduit de l’anglais aux éditions Lux, 2020), elle synthétise les études réalisées à partir des données socio-économiques et anthropologiques depuis l’effondrement du bloc de l’Est pour montrer l’importance de l’indépendance économique dans l’émancipation des femmes. Elle défend l’idée que si le capitalisme est néfaste pour la condition féminine, un système politique davantage « socialiste » permettrait une plus grande émancipation de la femme, qui se traduirait par une vie sexuelle plus riche, satisfaisante et épanouie.
LVSL – Le titre de votre ouvrage fait référence au « socialisme ». Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par ce terme, et ce qu’il recouvre dans votre analyse ?
KG – Dès les premières pages de mon livre je fais la distinction entre ce que j’appelle le “socialisme démocratique” (democratic socialism) et le “socialisme Étatique” (State socialism). Par socialisme démocratique, j’entends une forme de social-démocratie proche de ce qu’on observe par exemple en Norvège, où l’État détient certains moyens de production et finance un haut niveau de protection social par un système fiscal redistributif qui coexiste avec une économie de marché florissante, au sein d’un système politique démocratique. Et par socialisme étatique, j’entends un système où le rôle de l’État est poussé à l’extrême, avec une économie planifiée et contrôlée par l’État, mais sans démocratie, comme on a pu l’observer en URSS entre 1917 et 1991 et dans l’Europe de l’Est entre 1945 et 1989. Je pense que le terme couvre un spectre assez large et existe sous différentes versions, éco-socialisme, socialisme-féministe par exemple. Ce qui m’intéresse est surtout de le réinsérer dans le champ politique. Mais je ne parle pas de communisme, car selon la théorie marxiste cela désigne un système où l’État est en retrait et les moyens de productions sont détenus collectivement et démocratiquement par les travailleurs eux-mêmes, ce qui n’était pas le cas dans le bloc de l’Est. Ils concevaient leur socialisme comme une étape vers le communisme.
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« Le capitalisme nuit gravement. Surtout aux femmes. Il les confine à la dépendance envers les hommes et les contraint de soumettre leurs relations intimes à des considérations économiques. Voilà ce que Kristen Ghodsee a conclu des vingt années qu’elle a passées à observer les répercussions de la transition du socialisme d’État au capitalisme sur le quotidien des habitantes des pays de l’ancien bloc de l’Est. Sans pour autant réhabiliter les dictatures du communisme réel, elle démontre qu’il y avait beaucoup à sauver des ruines du Mur, et que, contre le mortifère triomphalisme néolibéral d’aujourd’hui, il est encore temps de raviver l’idéal du socialisme.
D’une plume libre et généreuse qui va de l’anecdote personnelle à l’analyse de statistiques, en passant par les notes de terrain, l’anthropologue s’adresse d’abord aux jeunes femmes, puis à quiconque souhaite contrecarrer les effets délétères du libre marché. Sous l’égide des grandes figures féministes du socialisme, Alexandra Kollontaï, Rosa Luxemburg, Clara Zetkin, elle aborde tous les aspects de la vie des femmes – le travail, la famille, le sexe et la citoyenneté – et propose des pistes pour qu’elles aient une vie (sexuelle) plus épanouie. »
Paru en octobre 2020.