Interview avec Dorothée Olliéric : « Ce que je fais c’est un métier passion, l’envie d’être là où l’histoire s’écrit, là où ça se passe et je voulais que mes enfants comprennent ça »

Vous l’avez certainement déjà vu sur votre écran de télévisons sur France Télévisions, en train de parler depuis un pays en guerre. Après 30 ans en tant que grand reporter Dorothée Olliéric a décidé de se saisir de la plume et de raconter son métier et son parcours, principalement pour ses enfants. A travers Maman s’en va-t-en guerre: Ma vie de grand reporter (2024), Dorothée Olliéric nous raconte plus de trente ans d’actualité internationale. C’est au détour du Salon du livre de l’Ile de Ré que nous avons pu la rencontrer et lui en demander plus.

Dorothée OlliéricToutes ces années à vivre et à et à informer sur les guerres qui se passent dans le monde vous ont-elles donné une image particulière de la guerre ?

Ça m’a donné une image très noire de l’humanité. Je pense qu’à travers mes reportages j’ai vu le pire de ce que l’on peut faire. Par exemple en 1994, le génocide au Rwanda : 1 million de Tutsis assassinés par des hutus. C’était l’inhumanité, l’inimaginable, l’horreur à l’état pur. Et quand j’ai commencé ce métier je me suis dit « il faut que je m’accroche ». J’avais 25 ans, je n’avais jamais vu de cadavres. J’en ai vu des milliers.  Je me suis dit « il faut que je donne un sens à ce métier ». Je suis là pour témoigner. Même si c’est difficile je dois y aller. C’est vrai que le monde est parfois très noir, très dur, mais je mets un point d’honneur à ne pas me laisser happer par toute cette horreur et je suis résolument tournée vers la vie, vers l’optimisme, vers la gaieté, le partage et les rencontres. Même dans un pays en guerre il y a toujours une petite lumière, un petit espoir, des gens qui se battent, des gens qui résistent et c’est ce que j’aime raconter.

Est-ce pour raconter cette vie, cette vision que vous avez écrit Maman s’en va-t-en guerre ?

Je voulais raconter un peu l’envers du décor des reportages. Quand on regarde un reportage de 3/4 min à la télévision, je pense que les téléspectateurs n’imaginent pas tout ce qu’il y’a derrière, toute l’équipe [nécessaire] : on travaille avec un journaliste reporter d’image, un monteur, un fixeur, qui est un interprète. C’est un travail d’équipe, un travail long. Par exemple en Ukraine c’est compliqué. Ce sont des heures de voyage, ce sont des difficultés au quotidien pour se nourrir, pour dormir, pour se protéger. C’est comment on fonctionne : comment demander une autorisation pour aller sur la ligne de front, dans une tranchée avec les soldats. Tous ces aspects que les gens ne connaissent pas. C’est aussi pour montrer pourquoi je fais ce métier, pour l’expliquer à mes enfants. Ils ont eu une maman qui a fait ce drôle de métier et qui continue à le faire depuis qu’ils sont nés. Ils ont très vite compris que je partais à la guerre, pas faire la guerre mais bien à la guerre. C’est pour expliquer que je ne fais pas ça pour les risques. Je n’ai pas envie de mourir, j’ai passé l’âge de frimer parce que les balles sifflent à mes oreilles. Ce que je fais c’est un métier passion, l’envie d’être là où l’histoire s’écrit, là où ça se passe et je voulais que mes enfants comprennent ça.  Je n’ai pas choisi entre eux et la guerre mais je parcours ces terrains en essayant de prendre le minimum de risques même s’il y’en a toujours, et transmettre la passion du monde, des autres, de l’aventure à mes enfants. Et puis, qu’ils me comprennent, me pardonnent d’avoir été une maman un peu particulière, un peu singulière.

Être mère et reporter de guerre vous a-t-il donné une sensibilité particulière, surtout par rapport à un métier qu’on peut penser très masculin ?

Aujourd’hui il y a beaucoup de femmes sur les terrains de guerre. Quand j’ai commencé il y’en avait peu. Mais dans les écoles de journalistes on en trouve 60% donc forcément à la sortie on le voit à la télévision. Même sur France télévisions. Quand j’ai commencé il n’y en avait pas beaucoup. Il a fallu se faire une place. Quelques femmes journalistes avaient ouvert la voie 15 ans avant moi. Donc ça n’a pas été si difficile que ça.

Pour en revenir à la question principale, je pense que oui. Quand tu es une maman et que tu vas sur un terrain de guerre, que tu as un enfant de 2 ans ou 5 ans ou 10 ans ça reste ton enfant tout le temps. Aujourd’hui ils ont 21 et 23 ans. Tu vois la souffrance des familles, la mort d’un enfant elle n’est pas la même. C’est terrible mais c’est encore plus terrible quand tu es une maman. J’ai une image qui me reste gravée à vie : en Afrique lors d’une guérilla, il y avait un enfant qui allait à l’école et qui a été tué. Il devait avoir 4 ou 5 ans, il avait un petit cartable sur le dos. Il était allongé, par terre dans un carrefour où ça tirait de partout. Quand tu as vu ça, si tu es maman d’un jeune enfant c’est quelque chose de difficiles à raconter, difficile à vivre, difficile à oublier aussi. Ça ne s’oublie pas. Donc oui, il y a une sensibilité de maman.

Que voudriez-vous dire aux gens qui voudraient exercer ce métier ?

Moi je dis que c’est le plus beau métier du monde. Dangereux, certes, mais il ne faut pas s’arrêter à ça. Quand tu pars en Ukraine il y a 2 journées un peu compliquées quand tu te rapproches du front. Après il y a des drones toute la nuit mais la ville est grande. Le reste du temps tu vas être avec des gens, des associations, des résistants. Ce n’est pas dangereux 100% du temps. C’est un métier qui apporte énormément de bonheur. Ce que je raconte dans mon livre c’est principalement l’humain, c’est-à-dire, rencontrer des gens comme tu ne les rencontrerais jamais. Des gens que tu n’aurais pas rencontrés en temps normal. Ça peut être un chef d’état, j’ai rencontré Nelson Mandela. Une rencontre très forte. Ça peut être un pêcheur mexicain, un narcotrafiquant colombien, un soldat. Et toutes ces rencontres même avec des personnes difficiles, dures, t’apportent énormément. Tu reçois beaucoup, tu donnes beaucoup aussi. Et souvent tu pars et tu n’as qu’une envie c’est de revenir encore et encore. C’est ce qu’il s’est passé pour moi avec un pays comme l’Afghanistan!

C’est un travail dur mais d’un autre côté c’est un métier passion pour vous ?

C’est un métier passion. C’est un métier que je fais à 58 ans, que je fais depuis que j’ai 25 ans, avec la même envie. Je dis ça à mes enfants : ils ont une maman épanouie. Parce qu’une maman qui aime son métier, qui le fait avec passion, qui n’est pas en burn-out passé quarante ans, c’est aussi apprendre à aimer la vie, à s’ouvrir au monde. Ce sont de belles valeurs. Ce n’est pas un métier où tu gagnes beaucoup d’argent. On a plus de prime de risques (depuis 2007) alors qu’on en avait un avant. Que je fasse un reportage ici ou en Ukraine je gagne la même chose. C’est un métier qu’il faut assumer, tu prends des risques mais tu le fais pour tout ce que j’ai dit. Les sentiments dans un pays en guerre sont exacerbés, c’est plus de passion, plus d’amitié, plus de solidarité, plus de courage, plus d’horreurs aussi. Tous les sentiments sont démultipliés. Tu vis à deux mille à l’heure. Tu vis intensément. Moi j’aime la vie comme ça. Ce n’est jamais la même. Chaque jour est différent. C’est une vie d’aventures formidable.

 

Maman s’en va-t-en Guerre : Ma vie de grand reporter est à retrouver en librairie aux éditions du Rocher.

Fnac: https://www.fnac.com/a20555372/Dorothee-Ollieric-Maman-s-en-va-t-en-guerre

Cultura: https://www.cultura.com/p-maman-s-en-va-t-en-guerre-ma-vie-de-grand-reporter-9782268110875.html

Interview fait par Romane Noel Deprun le 9 aout au salon « l’Ile aux Livres » (Ile de Ré).

 

Approfonlire.fr

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.