Face au virus Covid-19, le journalisme de solutions se fraie-t-il une place ?

Photo: L’échevin de Gelles, Jean Flandin, visite une dame âgée afin de lui apporter un journal et du pain frais, le 28 mars pendant le confinement dû à l’épidémie de Covid-19 en France.

© Crédits photo : Thierry Zoccolan / AFP.

La crise du coronavirus constitue à la fois un sujet hautement anxiogène et une actualité largement couverte par tous les médias. Parmi l’immense majorité de publications journalistiques traditionnelles, certaines choisissent le journalisme de solutions afin de proposer un traitement de l’information constructif.

par Pauline Amiel , Maître de conférences à l’École de journalisme et de communication d’Aix- Marseille université

Publié le 09 avril 2020 — Mis à jour le 10 avril 2020 , site officiel de l’INA

Temps de lecture : 8 min

Les chiffres de la couverture médiatique de l’épidémie de Covid-19 donnent le tournis : 378 heures d’informations diffusées sur les chaînes d’info de l’Hexagone lors de la première semaine de confinement, 401 heures la semaine suivante – chiffres inédits relevés par l’INA ; 19 000 articles consacrés au sujet chaque jour dans les médias français. Jamais un sujet n’aura été autant traité par les journalistes, d’après une étude de Tagaday relayée par Le Journal du dimanche. Pourtant, alors que le confinement entraîne une surconsultation des actualités par les Français, cette « infobésité » en temps de crise risque d’avoir des effets psychologiques négatifs sur le public. Si bien que l’OMS conseille de ne pas consulter trop les informations en ce moment !

À l’heure où la déprime guette les accros à l’info, certains médias font le pari du journalisme de solutions pour aborder un sujet qui paraît, de prime abord, peu convenir à l’exercice. Pourtant, le « sojo » (solutions journalism) rend ses lecteurs plus positifs, selon la dernière étude publiée sur le sujet par le centre pour l’engagement dans les médias. Créé pour lutter contre la défiance envers les médias et proposer un traitement de l’actualité plus équilibré — et donc moins négatif —, le journalisme de solutions prend tout son sens pendant la pandémie actuelle. En essayant de répondre à la question « et maintenant, que fait-on ? », il permet aux lecteurs de se projeter et aux journalistes de créer du lien avec leurs publics. Proposer un traitement rigoureux des réponses à apporter aux problèmes de société favorise l’engagement des lecteurs dans la résolution des problèmes.

Examiner les solutions venues d’ailleurs

Un des principes du « sojo » invite à s’inspirer de ce qui a fonctionné ailleurs pour résoudre un problème. Même si cette technique se retrouve dans tous les genres du journalisme, ses promoteurs la développent particulièrement. C’est ce que font les médias français dans le cas du Covid-19.

Ainsi, la Corée du Sud revient fréquemment comme un modèle dans la gestion de la crise pandémique. Sa politique de dépistage massif, de criblage et de responsabilité collective est décortiquée sur France Culture ou encore sur le site du quotidien régional Ouest-France, même si les questions des libertés individuelles ne sont pas oubliées par les journalistes.

Dans la même veine, et après Taïwan, l’Allemagne est passée au crible par les journalistes français en quête de solutions. Pratiquant des dépistages massifs, le pays est cité en exemple par de nombreux médias, dont Courrier InternationalL’Obs s’est quant à lui focalisé sur le Vietnam, pays d’Asie du Sud-Est félicité par l’OMS pour sa gestion « low-cost » de la crise mais efficace. Le Monde a de son côté choisi d’expliquer l’approche de la Suède, où « ce ne sont pas les ministres qui décident, mais les experts », ce qui explique pour partie les choix différents qui y ont été faits pour lutter contre la pandémie. Enfin, France Inter s’est penché sur le « mystère portugais », pays relativement épargné.

Pour une perspective autre que sanitaire, il faut se tourner vers Carenews qui s’intéresse en plusieurs articles à la mobilisation des entreprises et des philanthropes contre le Covid-19. Le média des acteurs de l’engagement rappelle que 1,3 milliard de dollars de dons ont déjà été promis dans le monde pour lutter contre la pandémie et propose un panorama des entreprises et philanthropes les plus généreux en Chine, en Corée du Sud, en Italie, aux États-Unis, etc.

Sans parler de journalisme de solutions, mais d’informations à impacts positifs sur le moral des lecteurs, certains médias choisissent de présenter des conséquences inattendues et positives de cette crise. Le New York Times se réjouit de la réapparition du « laitier » sur les routes des campagnes anglaises confinées. Politico, en Belgique, montre comment la pandémie permet un retour à la consommation locale en Europe. Le Huffpost rappelle, lui, dans une « feel good story » que certains patients particulièrement vulnérables, comme cette Italienne de 95 ans, se remettent aussi du virus.

Repenser son approche éditoriale

C’est bien en cette période unique qu’il faut favoriser cette approche pour aider les médias à se renouveler : les réponses à la crise, dans toute leur diversité, se multiplient dans le monde. Il faut donc aussi proposer du « journalisme à deux yeux » selon la formule du Constructive Institute, un œil porté sur les informations négatives, l’autre sur les positives. Médiacités a ainsi bouleversé sa ligne éditoriale pour analyser la crise actuelle et propose notamment du « sojo » à ses lecteurs.

Capture d'écran d'un édito de Médiacités dans lequel le rédacteur en chef explique la ligne adoptée par le média pendant le confinement dû à l'épidémie de Covid-19

Dans La France bouge, son émission quotidienne sur Europe 1, Raphaëlle Duchemin met un point d’honneur à traiter cette crise en proposant des solutions. Tous les sujets sont évoqués mais en montrant les réussites et l’engagement des Français pour surmonter la crise : les entreprises qui se mobilisent contre la pénurie de masques, les solutions pour faire face aux violences domestiques qui se multiplient, les astuces pour faire ses courses en prenant le mois de risques possible…

Sans connaître le fonctionnement du « sojo », il peut paraître difficile de s’y mettre, surtout en période de confinement. Comment distiller quelques solutions dans sa proposition éditoriale ? Alors qu’il est parfois difficile de varier les angles sur un sujet déjà très couvert, Nina Fasciaux, ambassadrice européenne du SJN, liste 24 questions à se poser en conférence de rédaction pour guider une couverture « solutions » de la crise. Le Solutions Journalism Network propose, lui aussi, des ressources essentielles. L’organisme invite les « rédactions du monde entier à mettre leurs articles sur les solutions à la disposition de tous pour les republier gratuitement, en tant que service public ». La version européenne de ce crowdsourcing des articles de solutions est aussi actualisée quotidiennement.

Il suffit de jeter un coup d’œil aux articles recensés pour s’apercevoir que les initiatives, les bonnes pratiques et les exemples réussis ne manquent pas, même si, parfois, le grand écart entre solutions et traitement de la crise du Covid-19 semble impossible. The Conversation France, qui couvre largement le sujet, varie ainsi les perspectives et explique par exemple comment la créativité peut aider à surmonter la crise.

En ce moment dans les médias, plusieurs newsletters permettent de s’informer sur la pandémie de façon plus constructive. Celle du collectif Antidotes, un groupement de journalistes spécialisées dans le « sojo », propose « une bonne dose d’espoir », une fois par mois. Elles publient également un fil à dérouler tous les vendredis sur Twitter et Facebook avec les meilleures publications de la semaine. À noter aussi, So Good, le média imaginé par So Presse et Ulule, choisit de mettre en avant chaque semaine, dans une newsletter, « des personnes ou des collectifs qui prennent des initiatives ou tentent des choses pour lutter contre le Coronavirus et limiter son impact sur notre société ». Le Solutions Journalism Network propose lui-aussi une newsletter qui recense les meilleures productions constructives, en anglais. Enfin, Usbek & Rica, « le média qui explore demain » a lui aussi lancé une newsletter dédiée aux solutions face à l’épidémie de Covid-19 : « Seuls ensemble ».

S’intéresser à l’impact écologique

Une des rubriques les plus investies par le journalisme de solutions est celle du développement durable et de l’écologie. Et justement, s’il y a bien une conséquence positive à la crise actuelle, c’est le mieux être de la planète grâce à la diminution de l’activité économique mondiale. Les médias ne passent pas à côté de cette occasion de proposer des informations constructives.

Le phénomène avait commencé en janvier et février, avec les images satellites de la diminution de la pollution atmosphérique en Chine puis en Italie qui « illustrent à quel point les activités humaines ont un impact sur la qualité de l’air que nous respirons », selon Carole Deniel, pour The Conversation France. Depuis quelques jours, l’agence spatiale européenne a également révélé des images de la chute de la pollution au dioxyde de carbone en Europe, reprises notamment par l’hebdomadaire Le Point.

Même si le confinement ne peut pas être abordé comme une solution au dérèglement climatique, percevoir ses impacts écologiques encourage à mener des réflexions sur le long terme. C’est ce que proposent les journalistes de Médiacités qui vérifient l’impact du confinement sur l’air à Toulouse et à Nantes.

Les chants des oiseaux qui reprennent leurs droits dans les grandes villes à l’arrêt font aussi partie des informations constructives publiées par les médias français récemment. France Inter va plus loin en relayant l’appel de la Ligue de protection des oiseaux qui lance un défi aux Français pour compter les espèces depuis sa fenêtre.

Créer du lien avec ses audiences et se projeter

« Prendre soin de soi. » C’est devenu le leitmotiv du confinement, mais aussi l’angle du magazine de La Croix daté du 27 mars, qui a fait du journalisme de solutions une de ses sources d’inspiration.

La presse locale, déjà habituée à proposer plus ou moins régulièrement du journalisme de solutions dans ses colonnes, renforce son lien avec ses lecteurs en insistant sur les solidarités locales. Entre autres, Nice-Matin a ainsi lancé une application, CoronAIDES, pour créer un réseau d’entraides sur son territoire. Ouest-France aussi se veut être le relais entre les solidarités locales en s’associant à AlloVoisins. Les Autres Possibles, média local en Loire-Atlantique, décrit comment une aide psychologique pour les plus démunis s’est mise en place. De nombreuses initiatives sont ainsi relayées par les médias locaux et vont dans le sens du journalisme de solutions, qui veut engager ses publics dans le changement.

Insuffisamment associé au traitement de l’actualité immédiate, le journalisme de solutions permet pourtant d’apporter une approche complémentaire de l’information — même si celle-ci est dramatique —, comme l’explique Keren Landman, journaliste santé et épidémiologiste.

Le dernier aspect de ce concept professionnel est la dimension prospective. Pour la journaliste danoise Cathrine Gyldensted, une des pionnières du journalisme constructif, il faut ajouter « what now ? » aux traditionnels 5 W (Why ? What ? When ? Who ? Where ? —les cinq questions essentielles que se pose tout journaliste en rédigeant un article).

C’est une des grandes questions du moment, remise au goût du jour par l’improbable tour que ce virus a fait prendre au monde. Et après ? Que va-t-il se passer ? Les chroniques, interviews et débats ouvrent les perspectives les plus larges, qu’ils portent sur les solutions pour « réparer » le système dans lequel nous vivons ou non. Kaizen, le magazine « explorateur de solutions écologiques et sociales » propose des interviews et des chroniques pour penser le monde d’après. Usbek & Rica propose, entre autres, de se mobiliser autant sur le climat que contre le Covid-19, ou encore de repenser la question du revenu universel à l’aune de la crise actuelle.

Le traitement « solutions » de l’actualité Covid-19 reste infime par rapport au nombre de publications quotidiennes sur ce sujet. Les quelques cas recensés ici sont, la plupart du temps, publiés par des médias qui proposent déjà régulièrement du « sojo » à leur public. Si quelques médias s’essayent à un traitement « sojo » ponctuel, ce sont d’abord les médias initiés qui continuent de développer la méthode. Ce tour d’horizon, non exhaustif, permet tout de même de se rendre compte que ses principes infusent petit à petit dans les pratiques des journalistes : les exemples de France Inter ou Europe 1 montrent que quelques grands médias s’y mettent, que ce soit les focus portés sur les perspectives, sur des propositions constructives pour l’environnement ou encore des solutions pratiques. Et comme la crise actuelle risque de durer encore plusieurs semaines et d’avoir des conséquences durables, il faut souhaiter que le mouvement du journalisme de solutions s’amplifie pour permettre au public de garder la tête froide.

Pauline Amiel

Pauline Amiel

Maître de conférences à l’École de journalisme et de communication d’Aix- Marseille université

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