Défense nationale: Le choix des armes face aux risques de guerre hybride ( ingérence politique, agitation sociale, sabotages) peut-il répondre aux menaces de l’Europe entière ?

Le nouveau gouvernement de François BAYROU a été dévoilé juste avant Noël .  Une liste de 35 ministres « poids lourds » parmi lesquels,  Sébastien LECORNU** , ministre des Armées depuis 2022, retrouve son ancien poste de l’ex gouvernement de Michel BARNIER ( 91 jours ! ). Un choix logique pour consolider une politique de la Défense qui nécessite de fonctionner dans le « temps long ». A l’aube de la nouvelle année 2025, Jean-Antoine DUPRAT, politologue, expose Le choix des armes de la défense Nationale et s’interroge sur les risques de guerre hybride ( ingérence politique, agitation sociale, sabotages) qui menace l’Europe entière !

Le choix des armes par Jean Antoine DUPRAT

Une armée très professionnelle mais… « échantillonnaire » et un bouclier nucléaire, certes crédible mais peut-être insuffisant, à lui seul, pour dissuader efficacement un adversaire d’attaquer la France – métropole et territoires d’outre-mer – sans oublier les risques de guerre hybride (ingérence politique, agitation sociale, sabotages…) ; tel est le constat fait par de nombreux experts, alors que les conflits se multiplient à travers la planète et que, pour la première fois depuis 80 ans, la guerre déclenchée en février 2022 par la Russie contre l’Ukraine, affecte directement l’Europe. Après les pics des années cinquante, liés notamment aux conflits en Indochine et en Algérie, quand le budget des armées dépassait 5% du PIB – le maximum étant atteint en 1953 avec 7,57% – les efforts sont à peu près maintenus en valeur durant les « trente glorieuses », notamment pour financer le programme nucléaire, même si les dépenses militaires représentent un pourcentage plus réduit d’un PIB en constante progression durant ces trois décennies[1]. Mais, à partir de 1974, les chocs pétroliers mettent un coup d’arrêt à cette croissance économique soutenue. Arrivée au pouvoir en 1981, la gauche donne priorité aux programmes sociaux ; les dépenses publiques[2] dépassent pour la première fois 50% du PIB en 1982, avec un fort accroissement des impôts et de l’endettement – plus de 50% du PIB à la fin de l’ère Mitterrand !

Réduction du budget de la Défense

À compter de 1983 et du tournant de la rigueur, qui fait suite aux premières années très dispendieuses de la présidence socialiste, le budget de la défense ne cesse de baisser. En 1989, il passe pour la première fois sous les 3% du PIB, il n’y remontera jamais ! À partir des années quatre-vingt-dix, avec la fin de la guerre froide, la France – et elle n’est pas la seule en Europe – baisse un peu plus sa garde. En 1996, sous la présidence de Jacque Chirac, le service militaire est supprimé. Les « dividendes de la paix », notamment les financements qui ne sont plus affectés à la défense, sont massivement réorientés vers un « modèle social » de plus en plus onéreux ; alors que le taux d’emploi baisse, conséquence négative de la retraite à 60 ans et des 35h00,  les augmentations d’impôts et de charges, elles, se poursuivent – la France va devenir championne du monde en ce domaine – tandis que la croissance reste molle et que la production industrielle régresse !

Pour financer une dépense publique, elle en constante progression, les dirigeants doivent emprunter toujours plus, sans pour autant parvenir à combler les déficits qui s’accumulent. Variable d’ajustement, le budget de la défense atteint ses plus bas niveaux, autour de 1,86 % du PIB, entre 2013 et 2019, sous François Hollande. Pourtant, dans un rapport du 18 juillet 2012 le Sénat faisait : « Un état des lieux préoccupant » ; il alertait : « Le format de nos armées est « juste insuffisant » et soulignait : « Un des éléments importants qu’il convient de rappeler est le lien qui relie dissuasion nucléaire et dissuasion conventionnelle. La dissuasion est globale et ses deux volets sont non seulement complémentaires mais totalement interdépendants.

Le nucléaire militaire est ainsi d’autant plus crédible que son usage reste limité à des scénarii d’emploi très restreints. » Alors qu’il vient d’être élu président de la République, en juillet 2017 Emmanuel Macron procède, au nom de la réduction des déficits publics, à une nouvelle coupe de 850 millions d’euros dans le budget de l’armée.  Ce coup de rabot apparaît alors comme une trahison de ses promesses électorales d’augmenter les moyens de la Défense pour atteindre 2 % du PIB, le minimum d’ailleurs demandé[3] aux membres de l’OTAN. Cette décision crée, en juillet 2017, un grave incident entre le nouveau président et le chef d’état-major des armées, le Général de Villiers, qui avait alerté la commission de défense du Sénat sur l’insuffisance des moyens attribués à l’armée par rapport à ses multiples missions et qui finit par donner sa démission, le 19 juillet, à la suite de la vive réaction présidentielle.  Face à l’onde de choc de ce départ, le Premier ministre Édouard Philippe fait un virage à 180 degrés ; en septembre il annonce une augmentation de 1,8 milliard d’euros du budget de la Défense dès 2018.

En février 2022, en envahissant l’Ukraine, la Russie ramène la guerre aux portes de l’Europe. Vladimir Poutine brandit la menace nucléaire pour dissuader les occidentaux d’aider sa proie, pas encore membre de l’UE, qui n’est protégée, ni par la possession d’une bombe atomique, ni par son appartenance à l’Otan. Face à ce « choix des armes » qui s’impose à la France, la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, prévoit une enveloppe de 413 milliards d’euros ; mais, plus que d’un véritable accroissement des moyens des armées, il s’agit surtout d’un rattrapage par rapport aux précédentes LPM qui, de plus, n’ont pas été totalement respectées ! ? Face à l’augmentation des menaces, quand on voit comment la Russie (40% de son budget est consacré aux dépenses militaires et 30% à la sécurité) et l’Ukraine (60 % de ses dépenses vont à sa défense) ont basculé en économie de guerre, la question du choix des priorités budgétaires pourrait rapidement se poser, de manière d’autant plus prégnante que la dégradation des finances publiques (déficit de 6,2% en 2024) et l’endettement inquiétant du pays (112% du PIB) limitent fortement les marges de manœuvre.

Dans ce contexte très contraignant, faut-il attribuer au renforcement de la défense et de la sécurité nationale certains « dividendes de la paix » comme ceux fléchés vers le « modèle social » ou vers la lutte contre le changement climatique, voire augmenter le temps de travail, par exemple pour accroître la production d’armements ? Des questions d’autant plus importantes que, même en cas de cessez-le-feu, les ambitions de la Russie pourraient ne pas se limiter à annexer tout ou partie de l’Ukraine et que l’Union européenne pourrait se retrouver en première ligne avec l’obligation de suppléer, par des moyens financiers et humains supplémentaires, une moindre contribution des États-Unis à l’OTAN, ce qui n’est pas à exclure depuis la réélection de Donald Trump.

Jean-Antoine DUPRAT pour ApprofonLire.fr

[1] Part des dépenses militaires dans le PIB français 1950-2023 | Statista

[2] 50 ANS DE DÉPENSES PUBLIQUES

[3] NATO – Topic: Informations sur les dépenses de défense

** Sébastien LECORNU : Vers la guerre ? la place de la France sur l’échiquier géopolitique (Editions PLON)

Acheter ce livre sur Babelio:

https://www.babelio.com/livres/Lecornu-Vers-la-guerre–La-place-de-la-France-sur-lechiq/1737426

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.