
Fin mars, l’administration Trump a brutalement suspendu le financement de plusieurs médias publics diffusés à l’étranger, dont Radio Free Asia. Ce média indépendant, suivi par des millions de personnes en Birmanie, au Vietnam ou au Cambodge, est aujourd’hui au bord de la fermeture. Sa rédactrice en chef, Ginny Stein, alerte sur les conséquences d’une telle décision. Interview publiée par Le Pélerin.fr
Que s’est-il passé depuis l’annonce de la suppression du financement ?
Ginny Stein : Nous avons reçu un mail le 22 mars nous annonçant la fin du financement, actée par décret. Dans la foulée, des centaines de licenciements ont été prononcés. Nous travaillons aujourd’hui avec une équipe réduite. Je suis encore à la rédaction, à Washington, cette semaine. Peut-être plus la suivante. C’est le cas de tous mes collègues. Nous essayons de tenir assez longtemps pour lancer un recours en justice.
Vos collaborateurs sur le terrain sont-ils en danger ?
Certains l’étaient déjà. Quatre de nos correspondants au Vietnam sont actuellement emprisonnés pour avoir travaillé avec nous. En Birmanie, l’un d’eux a été condamné à la prison à vie, simplement pour avoir possédé un drone. Beaucoup ont dû abandonner leur poste. Trouver un autre emploi est presque impossible : ils ne peuvent pas révéler qu’ils collaboraient avec Radio Free Asia, cela les mettrait en danger. Résultat, la plupart ne peuvent même pas justifier d’une activité passée.
Pourquoi cette information non censurée est-elle essentielle pour les populations locales ?
Prenez la Birmanie : c’est un pays en guerre contre lui-même, avec des combats sur au moins six fronts, en plus des catastrophes naturelles. Les habitants comptent énormément sur Radio Free Asia pour rester informés. Lorsque le cyclone Mocha, en mai 2023, a ravagé le pays, de nombreux Rohingyas — cette minorité musulmane persécutée — sont restés piégés dans les camps de réfugiés. Ils n’avaient reçu aucun avertissement officiel. Sauf ceux qui suivaient nos actualités. Selon les informations recueillies par nos reporters auprès d’organisations locales, environ 400 personnes ont perdu la vie.
Les gens nous font confiance. Ils savent que nous sommes indépendants, que nous disons la vérité. Nous diffusons sur toutes les plateformes: Internet, radio, réseaux sociaux. Nos contenus en birman sur Facebook et YouTube sont consultés chaque jour par des millions de personnes, dont 90 % vivent en Birmanie. Il en va de même pour le Cambodge, le Vietnam et le Laos.
Que se passera-t-il si Radio Free Asia devait définitivement fermer ?
Je crains que ce vide ne soit comblé par la désinformation et les discours officiels. Des régimes comme celui de la Chine savent très bien en profiter. Par le passé, Pékin a déjà réussi à diffuser gratuitement ses propres contenus dans les radios d’État de plusieurs pays. Ce sont ces voix-là qui s’imposeraient si la nôtre venait à disparaître.
En tant qu’Australienne, craignez-vous d’être renvoyée dans votre pays ?
C’est possible. Si les États-Unis mettent fin à mon contrat, je devrai quitter le pays. Mais ce sera en sécurité. Alors s’il faut que quelqu’un parte, ce sera moi.
Le pire concerne mes collègues. Certains ont fui leur pays et obtenu l’asile politique aux États-Unis, pensant y être enfin en sécurité. Aujourd’hui, s’ils sont expulsés, ils risquent la prison. Ou pire encore.
Qu’en disent les citoyens américains ?
Ceux qui sont au courant de la situation sont horrifiés. Mais pour les autres, il s’agit d’une énième mesure prise, d’une énième coupe budgétaire… Je n’ai pas l’impression que les Américains réalisent ce que signifierait la fermeture de ces médias qui donnent à l’Amérique une voix au niveau mondial.
Source: www.lepelerin.fr
Par Rachel Notteau pour lepelerin.com
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